Bulletin des Élections de l’Union Européenne
La synthèse continentale
Issue #2
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Issue #2

Auteurs

Théophile Rospars , Jean-Toussaint Battestini , Charlotte von Born-Fallois , Michał Ekiert , Juuso Järviniemi , Charlotte Kleine

21x29,7cm - 167 pages Numéro 2, Mars 2022 24,00€

Élections en Europe : juin 2021 – novembre 2021

Introduction

L’actualité de ce deuxième semestre couvert par BLUE aura été riche de nouveautés, tant sur le plan quantitatif, par le nombre de scrutins ayant eu lieu, que qualitatif. Ce deuxième numéro de la BLUE mettra en perspective ces dynamiques au niveau pertinent, celui continental, sans sacrifier les enjeux locaux.
Ainsi, après cette synthèse continentale préparée par la rédaction de BLUE, vous seront présentées les analyses des différents scrutins couverts par la revue, rédigées par des experts issus de l’ensemble des régions européennes considérées.
À l’échelon municipal, les grandes métropoles italiennes que sont Rome et Milan ont vu leurs équilibres politiques se déplacer en faveur de la social-démocratie. Ces deux scrutins seront analysés par Sofia Marini, de l’Université de Vienne, membre de la rédaction de BLUE.
L’actualité régionale fut également riche. En France, le clivage gauche-droite semble demeurer une clef d’analyse centrale, du moins au niveau régional, malgré la volonté de dépassement portée par l’extrême-droite et la majorité présidentielle. Les scrutins régionaux de juin 2021 seront commentés et mis en perspective par une série d’analyses — la seule revue systématique d’un scrutin régional français disponible à ce jour — combinant les contributions de chercheurs issus des différentes régions françaises à des compte-rendus brefs réalisés par les membres de la rédaction de la BLUE.
En Allemagne, de nombreux scrutins régionaux sont venus préparer le terrain des élections fédérales qui se sont tenues en septembre. Lors du renouvellement du Landtag de Saxe-Anhalt, le ministre-président sortant a pu capitaliser sur les enjeux locaux pour confirmer la place de la démocratie chrétienne dans cet État d’Allemagne de l’Est. Le scrutin sera analysé par Christian Stecker de l’Université technique de Darmstadt.
Les élections au Landtag de Mecklembourg-Poméranie occidentale et de la chambre des députés de Berlin ont quant à elles renforcé la position des partis de centre-gauche et des libéraux dans une dynamique à la fois locale et fédérale. Ces résultats vous seront présentés par Erik Baltz, Sophie Suda et Maximilian Andorff-Woller de l’Université de Greifswald d’une part et François Hublet, rédacteur en chef de la BLUE, de l’autre.
En Haute-Autriche, l’extrême-droite, suite au scandale dit Ibiza Gate, a perdu du terrain au profit de la droite traditionnelle et d’un nouveau parti issu de la contestation contre les mesures prises à l’occasion de la pandémie de Covid-19, tandis que les autres partis consolidaient leurs positions. Ce scrutin est analysé par Harald Stöger de l’Université de Linz.
La Calabre a vu la coalition sortant de centre-droit renforcée, tandis que celle de centre-gauche perdait du terrain au profit de la candidature surprise du maire de Naples. Francesco Truglia, de l’Université de Rome, analysera les conséquences de cette partie à trois.
Ce semestre riche en actualités régionales s’est conclu par les élections régionales danoises, où les conservateurs ont obtenu des gains très substantiels aux dépens des sociaux-démocrates, en poste au niveau national. Cette sanction démocratique vous sera mise en perspective par Ulrik Kjær, de l’Université du Danemark du Sud.
À l’échelon national, les Bulgares ont été appelés à voter une deuxième et troisième fois pour leur parlement en un an, confirmant le rejet du parti dominant de centre-droit, au profit de mouvements citoyens. Vous trouverez davantage d’informations sur la reconstruction de l’offre politique du pays sous la plume de Dragomir Stoyanov de l’Université du Sussex, ainsi que dans une analyse brève proposée en fin de volume par la rédaction de BLUE.
En Allemagne, l’ancien vice-chancelier d’Angela Merkel, Olaf Scholz, a ravi la chancellerie pour le compte d’une social-démocratie perçue comme fortement affaiblie depuis quatre ans, et capitalise sur les succès des Verts et libéraux pour mettre fin à une ère politique dominée par la démocratie chrétienne. Le scrutin est analysé par Andrea Römmele de la Hertie School of Governance.
La République tchèque a également connu un changement d’ère, l’oligarque Babis perdant sa main-mise sur la politique nationale. Tomáš Weiss, de l’Université Charles de Prague, présentera la recomposition politique en cours dans le pays.
Enfin, deux partenaires importants de l’Union européenne, membres de l’AELE, ont vu leurs parlements renouvelés. Les élections norvégiennes et islandaises vous seront présentées par Stine Hesstvedt, de l’Institut de Sciences sociales d’Oslo, et Eva Heiða Önnudóttir de l’Université d’Islande.
Pour mieux comprendre l’enjeu continental de ces analyses, nous vous avons préparé une rapide mise en perspective, que voici.

Évolution des scores des groupes européens

Cette synthèse semestrielle des élections européennes constitue une occasion idéale pour s’intéresser aux dynamiques macroscopiques des forces politiques sur le continent. Suivant la méthodologie établie dans le précédent numéro de BLUE, les familles politiques seront regroupées selon leur affiliation directe ou assimilée aux groupes du Parlement européen 1 .
Les partis du groupe d’extrême droite ID sont les plus grands perdants de ce semestre électoral, avec un recul moyen de 4 points de pourcentage [pp] sur l’ensemble des élections. Seules les élections romaines auront été l’occasion de gains significatifs (+ 4 pp), tandis que partout ailleurs, le groupe a subi des pertes parfois importantes, frôlant même les 15 pp dans plusieurs scrutins régionaux français.
Le groupe conservateur eurosceptique CRE est stable, à -1 pp en moyenne, alors que les alliances PPE/CRE gagnent 2 pp. Les CRE ont enregistré des gains significatifs lors des élections municipales italiennes ainsi qu’au-travers de la victoire de la coalition SPOLU en République tchèque (cette dernière étant commune avec le centre-droit). Leurs positions sont stables ou en légère baisse partout ailleurs.
Les partis de centre-droit et de droite traditionnelle réunis au sein du PPE ont connu une perte de 7 pp en moyenne. Cela s’explique par des gains importants en Saxe-Anhalt et au Danemark (+7 et +8 pp), contrebalancés par de fortes pertes en Bulgarie, en Allemagne (Bundestag) et à Milan, des succès variés lors des élections régionales françaises, et une position globalement stable ou en recul lors des autres scrutins. Une partie des voix du PPE ont été transférés, en République tchèque, à l’alliance SPOLU avec les CRE (+ 2 pp au niveau agrégé).
Alors qu’il enregistrait la plus forte baisse le semestre précédent, le groupe centriste RE et les partis qui lui sont assimilés est cette fois en nette hausse, avec un solde positif de 4 pp. Ce score s’explique avant tout par l’entrée dans les conseils régionaux français, et l’émergence de nouvelles formations en Bulgarie 2 .
Les Verts/ALE enregistrent un gain moyen de 3 pp ce semestre, confirmant ainsi leur dynamique positivet. L’évolution des scores des Verts et des régionalistes est quasiment unanimement positive (sauf dans deux régions françaises et une région danoise), même si ceux-ci n’atteignent pas toujours les scores espérés, notamment en Allemagne. À cela s’ajoute un gain d’environ 2 pp des alliances entre S&D et Verts dans le cadre des élections régionales françaises.
Les sociaux-démocrates du groupe S&D sont stables (0 pp). Les gains impressionnants obtenus à Rome (+ 24 pp) et Milan (+11 pp) et les bons résultats obtenus aux élections fédérales allemandes (+5 pp) et en Mecklembourg-Poméranie occidentale (+9 pp) sont contrebalancés par une tendance stable ou en baisse dans l’ensemble des autres territoires étudiés.
Le groupe de gauche radicale GUE/NGL continue quant à lui son déclin, avec -3 pp en moyenne. Les seuls gains significatifs (+ 3 pp) ont été enregistrés lors des élections régionales danoises.
Les partis non inscrits dans un groupe ont gagné 3 pp au titre de ce semestre électoral, avec des variations importantes en Bulgarie (-8 pp), à Milan (-10 pp) et à Rome (-39,1 pp), contrebalancées par des gains importants en Calabre, en Islande, à Berlin et en Haute-Autriche.

a • Scores agrégés des groupes européens entre juin et novembre 2021

Partis entrés et sortis des parlements régionaux et nationaux

Les élections régionales et nationales du second semestre 2021 ont été marquées par la disparition de certains partis et l’émergence de nouvelles formations.
Les élections régionales françaises n’ont pas été le théâtre de grand bouleversement politique à l’exception du taux d’abstention inédit d’environ les deux-tiers du corps électoral. Du côté de la majorité présidentielle, le parti La République en Marche (LREM, RE) et ses alliés font leur entrée dans les conseils régionaux de Bourgogne-Franche-Comté, de Bretagne, de Centre-Val de Loire, d’Île-de-France, de Normandie et des Pays de la Loire. Ces entrées contrastent cependant avec la mauvaise performance nationale du parti présidentiel, qui n’a remporté aucune région, rappelant le manque d’implantation locale du mouvement d’Emmanuel Macron. De plus, le parti de la majorité présidentielle perd sa représentation à l’Assemblée de Corse, puisque son ancien candidat, Jean-Charles Orsucci, qui n’avait pourtant pas sollicité l’investiture de LREM pour les élections territoriales, a été éliminé dès le premier tour.
Après avoir dû se retirer entre les deux tours aux élections régionales des Hauts-de-France en 2015 pour empêcher la victoire du Front national (FN, ID), la gauche a réussi à siéger de nouveau au conseil régional au sein d’une coalition de gauche menée par les écologistes et soutenue par le Parti Socialiste (PS, S&D), la France Insoumise (LFI, GUE/NGL) et Génération.s (S&D).
En Occitanie, LFI perd sa représentation au conseil régional en ne parvenant pas à se qualifier au second tour, avec seulement 5% des suffrages au premier tour.
Enfin, en Corse, région de France métropolitaine où le taux de participation a été le plus élevé (58%), on observe au-delà de la sortie de LREM l’entrée d’un nouveau parti indépendantiste et la quasi-disparition d’un parti historique du camp nationaliste corse. Le parti indépendantiste Corsica Libera, mené par le président sortant de l’assemblée de Corse, a en effet été éliminé dès le premier tour, et la fusion d’une partie de sa liste avec le parti autonomiste rival du président de l’exécutif sortant, Gilles Simeoni, n’a obtenu qu’un seul siège, contre 14 lors de l’élection précédente. Le parti indépendantiste Core in Fronte, plus radical sur ses positions vis-à-vis de l’État français, a obtenu 6 sièges sur 63.
En Allemagne, les élections fédérales du 26 septembre 2021 ont permis au parti de la minorité danoise du Schleswig-Holstein d’obtenir 1 siège au Bundestag. Le même jour, le Landtag de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale élisait son parlement régional. À cette occasion, les Verts et aux libéraux du FDP (RE) ont obtenu chacun 5 sièges chacun, majoritairement aux dépens de l’Union chrétienne-démocrate (CDU, PPE) et du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD, ID) qui perdent 4 sièges chacun. En juin 2021, les élections du Landtag de Saxe-Anhalt ont aussi permis aux libéraux du FDP d’entrer au parlement régional en obtenant 7 sièges.
Le 26 septembre, on votait également pour renouveler le parlement régional en Haute-Autriche. Ces élections ont permis au parti anti-vaccin et anti-restrictions sanitaires Mouvement pour les droits fondamentaux (MFG, NI) d’obtenir 3 sièges au parlement régional. Le parti libéral NEOS entre aussi au parlement en obtenant 2 sièges.
Les élections législatives d’octobre 2021 en République tchèque ont été marquées par la sortie du Parti social-démocrate (S&D) et du Parti communiste (GUE/NGL) du parlement national. Les deux partis ont chacun perdu les 15 sièges obtenus lors des dernières élections de 2017.
En Calabre, les élections régionales anticipées d’octobre 2021 ont permis au Mouvement 5 étoiles (M5S, NI) d’obtenir deux sièges. La coalition « Démocratie et autonomie » de Luigi de Magistris, candidat de centre-gauche dissident, a aussi obtenu 2 sièges, lui permettant de siéger au parlement régional.
Au Danemark, les élections régionales de novembre 2021 dans les cinq régions du pays ont été marquées par la perte de représentation au niveau régional du parti de gauche l’Alternative (Å, GUE/NGL) et l’entrée du parti eurosceptique « Nouvelle Droite » (D, NI).
Les troisièmes élections anticipées de novembre 2021 en Bulgarie ont vu la formation europhile et anti-corruption « Nous continuons le changement » (PP, NI) entrer au parlement avec 67 sièges, au détriment de la formation Debout.BG (NI), qui perd ses 13 sièges et quitte le parlement, après avoir été tenu responsable de l’échec des pourparlers en vue de former un gouvernement. La formation eurosceptique « Renaissance » (NI) entre au parlement avec 13 sièges.
En dehors de l’Union, les élections législatives norvégiennes septembre 2021 ont permis au parti Pasientfokus (PF, NI) d’obtenir un siège. Il s’agit d’un petit parti soutenant l’expansion de l’hôpital d’Alta dans le comté de Finnmark, dans l’extrême nord du pays. Les élections législatives en Islande de septembre 2021 n’ont pas entraîné de changement dans la représentation des partis au parlement national.

Participation

En France métropolitaine, les élections régionales ont battu des records d’abstention. Dans toutes les régions, des chutes du taux de participation de plus de 15 points ont été enregistrées. Dans les Hauts-de-France la participation est passée de 54,8 % — le taux le plus élevé aux dernières élections en 2015 — à 32,8 %, soit une baisse de 22 points [pp]. C’est dans le Grand Est que la participation a été la plus faible : moins d’un tiers des électeurs (29,6 %) y ont voté. En Corse cependant, la participation s’est maintenue, baissant de seulement 2,7 pp par rapport à 2015 (59,7 % en 2015; 57,0 % en 2021). Ceci s’explique partiellement par une forte mobilisation du camp nationaliste.
Dans les départements, collectivités et régions d’outre-mer, la participation observée en 2015 avait été nettement inférieure à celle observée en métropole : 41,2 % des inscrits avaient participé en Martinique, 47,2 % en Guadeloupe. En conséquence, la baisse a été moins forte que dans les régions métropolitaines — entre -8,7 pp en Martinique et -7,9 pp à La Réunion. Ainsi le taux de participation en 2021 a été similaire dans les régions et collectivités d’outre-mer et en France métropolitaine.
La tumultueuse année électorale en Bulgarie a vu de fortes chutes dans la participation. De premières élections législatives ont eu lieu en avril 2021 (voir BLUE 1). Dans l’incapacité de former un gouvernement, l’assemblée nationale a été dissoute et de nouvelles élections ont été organisées en juillet 2021. Lors de ces dernières, une baisse de la participation de 8,7 pp a été enregistrée. Cette chute s’explique par plusieurs facteurs : l’insatisfaction des électeurs, un effort de la part du gouvernement intérimaire de mettre un frein aux pratiques de vote illégales, mais aussi la tenue d’élections lors d’une période de vacances et un nouveau système de vote électronique peu familier d’une partie de la population (notamment les personnes âgées).
Les élections de juillet 2021 n’ayant à nouveau pas permis de dégager une majorité, de nouvelles élections législatives ont été organisées en novembre 2021, organisées en parallèle des élections présidentielles. Cette double journée électorale n’a pas donné de vainqueur clair non plus, et un deuxième tour a été nécessaire pour réélire le président Rumen Radev. La participation au premier tour des élections présidentielles et aux élections législatives a été de 38,7 %, le taux le plus bas enregistré en 30 ans. Au deuxième tour des présidentielles un nouveau record à la baisse a été enregistré : seule 33,6 % de la population s’est rendue aux urnes.
En Allemagne, l’effet de la « super année électorale » s’est nettement traduit dans la participation aux élections du Sénat de Berlin (+8,5 pp, soit une participation de 75,4 %) et au Mecklembourg-Poméranie occidentale (+8,9 pp, à 70,8%), où les élections régionales avait lieu le même jour que les élections au Bundestag.
En Saxe-Anhalt, les élections avaient eu lieu le 6 juin. La participation y a baissé de 0,8 pp : en 2017 le taux était à 61,1 % et en 2021 à 60,3 %.
Dans les pays de l’AELE, la Norvège et l’Islande, des élections législatives ont eu lieu en septembre 2021. En Norvège, la participation a baissé de 1,1 pp, atteignant 77,8 %, alors qu’en Islande, la participation a augmenté de 1,1 pp, 81,2 % de la population s’étant exprimée.
En Haute-Autriche, les élections au Landtag de 2016 avaient été marquées par une forte polarisation autour de la question migratoire, et, en conséquence, le taux de participation avait été élevé : 81,6 % de l’électorat s’était rendu aux urnes. En septembre 2021, c’est la crise du COVID et la question de la vaccination obligatoire qui ont mobilisé l’électorat. Cependant, une chute de 5,3 pp a été enregistrée : 76,3% des électeurs ont voté.
Aux élections régionales calabraises, le taux de participation a été stable, en hausse de 0,1 pp par rapport aux dernières élections de 2020. Ce taux avait été similaire en 2014. À Milan, où l’élection municipale avait été reportée à octobre 2021 suite à un pic d’infections au printemps, la participation a baissé de 7 pp — en 2016, 54,7 % des électeurs s’étaient exprimés, contre 47,7 % en 2021. À Rome, la participation a légèrement diminué, de 1,6 pp, et passe ainsi sous la barre des 50 % (48,5 %).
En République tchèque, la participation a augmenté de 4,6 pp. En 2017 60,8 % de l’électorat avait voté ; en octobre 2021, ce chiffre était de l’ordre de 65,4%.
Le 16 novembre 2021, les membres de 95 municipalités et 5 conseils régionaux ont été élus au Danemark. La participation a baissé dans les cinq régions, oscillant entre -2,8 pp et -4,5 pp, et atteignant ainsi un taux de participation entre 64,7 % et 72,7 %.

b • Participation lors des élections de juin à novembre 2021, ainsi que lors des scrutins précédents

Une séquence électorale allemande décisive

La « super année électorale » allemande (Superwahljahr) s’est achevé le 26 septembre 2021, date à laquelle se sont déroulées les élections au Bundestag allemand ainsi que dans deux Länder, Berlin et le Mecklembourg-Poméranie occidentale. La Thuringe devait également élire un nouveau Landtag le même jour, mais aucune majorité (des deux-tiers) ne s’est dégagée pour la dissolution du Parlement, car celle-ci aurait nécessité les voix de l’AfD (ID).
Les élections fédérales ont amené la fin de la « Grande coalition » composée des chrétiens-démocrates (CDU/CSU, PPE) et des sociaux-démocrates (SPD, S&D). Malgré une forte croissance, ce ne sont pas les Verts mais bien le SPD d’Olaf Scholz qui a été le grand vainqueur des élections fédérales de 2021 : avec 25,7 %, les sociaux-démocrates ont dépassé les chrétiens-démocrates (24,1 %) au terme d’une longue course au coude à coude entre les deux partis pendant la campagne électorale. Les Verts ont vu leur nombre de voix augmenter de 5,8 pp et sont arrivés en troisième position avec 14,8 %, manquant ainsi leur objectif de faire de leur candidate, Annalena Baerbock, le successeur d’Angela Merkel.
L’influence croissante des Verts, qui n’a pas suffi cette fois à dépasser un parti social-démocrate établi de plus longue date, est une tendance qui a également pu être observée lors des élections régionales :
À Berlin, le logement abordable a été le sujet dominant de la campagne électorale après que la loi sur le contrôle des loyers (« Mietpreisbremse ») du gouvernement précédent ait été déclarée anticonstitutionnelle par la Cour constitutionnelle fédérale. Néanmoins, les citoyens de Berlin ont confirmé leur confiance dans le précédent gouvernement rouge-rouge-vert : les sociaux-démocrates ont légèrement perdu, mais ont tout de même réussi à se hisser à la première place avec 21,4 %, tandis que les Verts ont même augmenté leurs résultats jusqu’à 18,9 %. Franziska Giffey, du SPD, a également réussi à être élue maire de Berlin.
Dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale, le SPD et sa candidate Manuela Schwesig sont les grands gagnants des élections de cette année : Avec 39,6 %, les sociaux-démocrates ont augmenté leurs résultats jusqu’à 9 %, au détriment des chrétiens-démocrates qui n’ont pu gagner que 13,3 %. Pour la première fois depuis 2011, les Verts ont réussi à dépasser la barre des 5 % et sont entrés au Landtag avec 6,3 %.

Écarts entre villes et campagnes

BLUE a construit un indicateur permettant de mesurer la polarisation du vote entre les zones urbaines et rurales lors des scrutins présentés dans ce numéro. Étant donné le score agrégé u1, …, up des partis dans l’électorat urbain et les scores agrégés r1, …, rp de ces mêmes partis dans l’électorat rural (en pourcent), on considère
1/2 ( |r1 – u1| + … + |rp – up| ).
On obtient un pourcentage qui varie entre 0% et 100%, où 0% signifie que les parts des différents partis dans les électorats urbain et rural sont identiques, et 100% signifie que l’électorat urbain vote pour des partis entièrement différents de l’électorat rural.
Dans la majorité des élections, le clivage rural/urbain s’est creusé. Hovestaden, la région danoise où se trouve Copenhague, avait déjà connu le clivage le plus important lors des précédentes élections ; il a encore augmenté de 6,1 pp lors de l’élection de 2021, dépassant ainsi largement les 50 % : plus de la moitié de la population des villes vote différemment de celle qui vit dans les zones rurales. La division s’est également creusée, quoique de manière moins spectaculaire, dans deux autres régions danoises, le Midtjylland et le Danemark méridional, au contraire du Nordjylland où l’écart s’est estompé.
En France, le clivage s’est accru dans la plupart des régions, sauf en Île-de-France, en Guyane, dans le Centre-Val-de-Loire et en Provence-Alpes-Côte-D’azur. Cette dernière région compte de grandes villes et agglomérations, notamment Marseille. C’est de loin la région où le clivage est le plus étroit et il a même encore diminué de 6,6 pp entre la dernière élection régionale de 2016 et celle de juin 2021. Cela s’explique noiamment par le développement de la présence du Rassemblement national dans les grandes villes — une situation plutôt atypique dans le contexte français. Les plus fortes augmentations dans le clivage ont été enregistrées en Guadeloupe (+14,4 pp) et en Auvergne-Rhône-Alpes (+11,1 pp).
En Saxe-Anhalt et dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale, le clivage s’est accentué respectivement de 5,3 pp et de 7,5 pp. L’accentuation a été encore plus marquée en Haute-Autriche, où l’indicateur augmente de 8,9 pp.
Lors de l’élection parlementaire en juillet en Bulgarie, l’indicateur urbain/rural avait diminué de 1,7 pp, mais en novembre, il avait augmenté à nouveau de 1,8 pp. Le contraste était beaucoup plus frappant lors de l’élection présidentielle, où le clivage s’est creusé de 13 pp, dépassant ainsi les 30 %.
Lors des élections parlementaires en République tchèque, le clivage s’est atténué de 3,4 pp. En Calabre, il a également légèrement diminué, de 1,3 pp.

c • Indicateur du clivage villes-campagnes lors des scrutins de juin à novembre 2021, ainsi que lors des scrutins précédents

Déterminants socio-économiques du vote

Le tableau d présente le résultat de l’estimation d’un modèle aux moindres carrés évaluant l’effet de huit facteurs socio-économiques sur les parts électorales des différents groupes politiques européens, agrégées au niveau NUTS 3.
Toutes choses égales par ailleurs, les partis du groupe de gauche GUE/NGL et du groupe des Verts/ALE ont obtenu de meilleurs résultats dans les zones à forte densité de population, tandis que les partis du groupe nationaliste ID ont obtenu de moins bons résultats dans ces zones. Une croissance élevée du PIB dans la région est associée à un effet positif sur la part de voix des partis Verts/ALE, et à un effet négatif sur les partis GUE/NGL et ID. Les autres paramètres étant fixés, un PIB par habitant élevé déjà existant était cependant associé à un vote plus élevé pour ID, et à un vote plus faible pour les partis Verts/ALE.
Le taux de migration nette dans la région a un effet significatif sur les scores de plusieurs partis. Les partis libéraux du groupe RE obtiennent de meilleurs résultats dans les régions où l’immigration est importante, tandis que les partis conservateurs (CRE et PPE) bénéficient d’un soutien moindre dans ces régions. Par ailleurs, les partis libéraux ont obtenu de moins bons résultats dans les régions où le niveau d’éducation est élevé.

GroupeEffet positifEffet négatif
GUE/NGLDensité pop.***Croissance PIB***0,92
Verts/ALEDensité pop.*** Croissance PIB***PIB/hab PPP***0,93
S&D0,47
REMigr. nette***Diplôme univ.** Chômage * Âge médian*0,82
PPEMigr. nette*0,64
CREMigr. nette***0,92
IDPIB/hab PPP*Densité pop.*** Natalité* Croissance PIB***0,94
*** effet significatif, p < 0,01 ** p < 0,05 * p < 0,1
Contrôles : États-membres, source : Eurostat, dernière année disponible
Les partis assimilés à un groupe ont été comptés avec ce groupe.
205 régions NUTS 3 : 5 AT, 28 BG, 14 CZ, 23 DE, 11 DK, 100 FR, 1 IS, 1 IT, 18 NO
a) Les données de l’élection au Bundestag n’ayant pas encore été publiées au niveau des arrondissements, elles n’ont pu être prises en compte dans le calcul.
b) Les listes regroupant plusieurs groupes européens ont été ignorés.

d • Résultats du modèle statistique au niveau NUTS 3

Autonomie — indépendance

Les élections régionales corses de juin 2021 ont vu une consolidation du pouvoir de Gilles Simeoni, leader du parti autonomiste Femu a Corsica (FaC, Verts/ALE). Alors que Simeoni présidait jusque là le Conseil exécutif de Corse à la tête d’une coalition autonomiste-nationaliste, le parti a présenté sa propre liste en 2021. FaC a cette fois remporté la majorité absolue des sièges à l’Assemblée de Corse, et Simeoni a donc eu les mains libres pour gouverner.
Dans l’ensemble, les partis nationalistes et autonomistes sont de plus en plus dominants dans la politique corse après les élections. Parmi les mouvements unionistes, seule une coalition de droite a participé au second tour des élections régionales, remportant 32 % des voix et 17 des 64 sièges. Tous les autres sièges sont occupés par des nationalistes, qui siègent à la fois sur les bancs du gouvernement et de l’opposition. La politique autonomiste et nationaliste est de plus en plus dominante, mais les différences entre les différents courants du mouvement sont plus visibles qu’auparavant.
Alors que la Corse a une forte tradition de politique régionaliste, en Norvège, la représentation des intérêts régionaux au parlement national est plus marginale. Cependant, en 2021, le mouvement Pasientfokus (PF, NI), qui revendique l’expansion de l’hôpital de la ville d’Alta, dans la région du Finnmark (nord), a remporté un siège au Storting. Le parti a obtenu plus de 40 % des voix à Alta, et a obtenu un siège bien qu’il n’ait recueilli que 0,2 % des voix au niveau national. PF n’est pas le premier parti régional dans l’histoire de la Norvège : en 2013, un parti appelé « Hôpital pour Alta » avait fait campagne lors des élections sans remporter de sièges. Dans le contexte norvégien, la représentation des intérêts régionaux du Nord se manifeste par la défense de l’offre de services sociaux dans les zones reculées, plutôt que par des revendications d’autonomie.
Lors des élections législatives allemandes, la Fédération des électeurs du Schleswig du Sud (SSW, Verts/ALE) a remporté un siège au Bundestag pour la première fois depuis 1949. Représentant les intérêts de la minorité danoise, le parti a remporté l’un des sièges de l’État septentrional du Schleswig-Holstein. La plateforme de campagne du parti comprenait des appels au financement d’infrastructures pour la région et une baisse des prix de l’électricité. Ainsi, l’Allemagne présente un exemple de vote régionaliste fondé sur des intérêts économiques, complété par la promotion des intérêts des minorités.

Mouvements anti-corruption

En 2021, plusieurs élections, principalement en Europe centrale et orientale, ont donné lieu par un changement de gouvernement faisant suite au mécontentement des citoyens face à la corruption. Cela a conduit de nouveaux mouvements politiques, souvent associés à l’ancienne opposition, à prendre la tête des exécutifs nationaux. Bien que cet aspect soit peu mis en avant dans des pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas et la France, dans d’autres, comme la République tchèque, la Bulgarie et la Moldavie, il s’agit d’un des facteurs décisifs pouvant mener à l’alternance. Dans les trois pays que nous avons mentionnés, la scène politique a ainsi été remaniée de manière spectaculaire.
L’ex-premier ministre tchèque Andrej Babiš, l’un des magnats les plus riches du pays, est arrivé au pouvoir en 2017 avec son parti ANO (RE), dont le nom signifie littéralement « oui » en tchèque. Après sa victoire électorale, le parti populiste « attrape-tout » s’est fortement implanté, mais a finalement fait face à des niveaux de défiance de la population similaires à ceux des gouvernements précédents après son alliance de circonstance avec le ČSSD (S&D). Le mécontentement suscité par le personnage omniprésent de Babiš, homme riche perçu par les opposants comme le ferment naturel de la corruption, combiné à la mauvaise gestion de la pandémie, a produit une puissante mobilisation de l’opposition. Le parti classique de centre-droit, perçu jusque-là comme assez terne, s’est réinventé sous le nom de SPOLU (« Ensemble », CRE/PPE), tandis que les Maires et indépendants (PPE) et le Parti Pirate (Verts/ALE) ont formé une seconde alliance plus centriste et alternative. ANO, pourtant arrivé en tête, n’a pas pu former de nouveau gouvernement, et c’est SPOLU, arrivé second, qui a obtenu le poste de premier ministre après avoir négocié une coalition avec les Maires et indépendants et le Parti Pirate.
« Nous continuons le changement » (~RE), le parti centriste formé par Kiril Perkov et Asen Vasilev, les ministres de l’économie et des finances du gouvernement provisoire bulgare, a battu le GERB (PPE), parti au pouvoir depuis près de 15 ans. Les deux précédents parlements, élus en avril et en juillet, n’avaient pas réussi à se mettre d’accord sur un gouvernement et avaient été dissous après seulement quelques semaines. Pendant la campagne électorale, de nombreuses tentatives de fraude ont été relevée, donnant lieu à l’ouverture de plus de 500 enquêtes préliminaires impliquant notamment le GERB et le DPS (RE). Petkov et Vasilev, qui avaient contribué à révéler de nombreux cas de corruption présumée liés au gouvernement de l’ancien premier ministre Boyko Borisov, ont fondé leur parti en septembre, sur un programme centré sur la lutte contre la corruption et la réforme judiciaire.
En Moldavie, la présidente Maia Sandu et son parti Action et Solidarité (PAS, ~PPE) entendent reconstruire le pays sur la base de la lutte contre la corruption et du pro-européanisme. Lors des élections parlementaires de juillet, le PAS a obtenu une majorité absolue au parlement, dominant le centre et la partie pro-occidentale de la scène politique. Le Parti démocrate (~S&D), au pouvoir de 2009 à 2021, les formations faisant appel à l’idée de réunification avec la Roumanie et le Parti de la dignité et de la vérité (~PPE), qui a récemment coopéré avec le PAS, ne sont pas entrés au Parlement. En outre, les élections ont donné un résultat très faible pour les forces pro-russes. La faiblesse de l’opposition et l’important soutien populaire confèrent actuellement au PAS une certaine liberté d’action.
Ces constats confirment ceux déjà émis à l’issue du semestre précédent : dans toute l’Europe de l’Est, on assiste à la création de nouvelles formations politiques combinée à un réalignement des anciennes forces dans le sens d’un pro-européanisme et d’une gouvernance plus efficace, qui tend à relativiser les clivages droite-gauche.

Rôle de la diaspora

Si, dans les pays des Balkans, l’importance de la diaspora sur le plan politique est un phénomène bien connu, cette importance semble s’est significativement accrue dans la période récente. Lors des élections bulgares de juillet 2021, le vote de l’étranger s’est ainsi pour la première fois avéré décisif, privant le GERB de la première place. Un nombre record de bureaux de vote à l’étranger, 750, a été mis en place pour cette élection. Bien que la communauté bulgare à l’étranger vote depuis 30 ans dans d’autres pays, ce droit suscite toujours la controverse. Pour la première fois, il y avait également plus de bureaux de vote en Grande-Bretagne qu’en Turquie ; or, le vote de la diaspora en Bulgarie était traditionnellement un moyen pour le DPS (RE), parti historique de la minorité turque de Bulgarie, de renforcer ses positions. Néanmoins, le changement générationnel rend cette stratégie moins efficace ; au lieu de cela, le vote de l’étranger a été le moyen pour les jeunes et les mécontents d’exprimer leur déception suite à la décennie au pouvoir du GERB. L’année 2021 a ainsi redéfini le rôle politique des Bulgares de l’étranger, plaçant ce groupe démographique au cœur de la politique du pays à l’avenir.
De même, la Moldavie suit cette tendance à se rapprocher de la diaspora vivant dans les pays de l’UE, peut-être dans l’espoir qu’elle devienne l’une des forces motrices de l’adhésion à la communauté, parallèlement à la transformation tant souhaitée du pays. Si les bureaux de vote à l’étranger sont plus nombreux que jamais, l’influence de la diaspora n’est pas aussi prononcée qu’en Bulgarie.
Dans d’autres pays européens concernés par des élections récentes, souvent en raison de limitations procédurales du vote (comme en République tchèque), l’influence de la diaspora est négligeable. Il faudra voir à l’avenir si les diasporas peuvent fournir un afflux de cadres qualifiés pour les nouveaux gouvernements, souvent issus de la mobilisation, qui manquent de personnel établi.

Les forces politiques européennes au 1er décembre 2021

La carte continentale

Notes

  1. On s’appuie dans cette partie sur les données agrégées et pondérées par la participation électorale pour les élections parlementaires dans l’Union européenne et les États de l’AELE. Pour les élections à plusieurs tours, seul le premier tour est considéré.
  2. Au vu de son positionnement politique, nous considérons le parti Continuons le changement comme proche du groupe RE.
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Théophile Rospars, Jean-Toussaint Battestini, Charlotte von Born-Fallois, Michał Ekiert, Juuso Järviniemi, Charlotte Kleine, La synthèse continentale, Groupe d'études géopolitiques, Mar 2022, 7-21.

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