«Trouver des partenariats innovants est l'une des plus grandes tâches politiques des années à venir»
Izabella Teixeira
co-présidente du Groupe international d'experts sur les ressourcesIssue
Issue #3Auteurs
Izabella TeixeiraPublié par le Groupe d'études géopolitiques, avec le soutien de la Fondation de l'École normale supérieure
Après la COP27 : géopolitique du Pacte Vert
Quel est l’état de la situation environnementale et écologique au Brésil après le mandat de Bolsonaro ?
L’héritage du mandat de Bolsonaro est la destruction de la gouvernance environnementale et climatique. Nous le voyons à travers l’augmentation du taux de déforestation. Le cadre institutionnel a complètement éclaté. L’administration de Lula aura la très lourde tâche de restaurer la crédibilité internationale et nationale du Brésil, même si la société soutient pleinement les mesures environnementales et la protection de l’Amazonie.
Quelles devraient être, selon vous, les mesures les plus urgentes à mettre en œuvre par Lula ?
Nous devons revoir complètement notre stratégie en matière de déforestation et, plus largement, de lutte contre le changement climatique. L’implication du secteur public est essentielle.
Je crois sincèrement que la trajectoire des politiques environnementales et de la gouvernance environnementale au Brésil sera totalement différente de ce qu’elle a été au cours des cinquante dernières années. En 1973, le Brésil a mis en place le premier cadre institutionnel pour la protection de l’environnement. Le style de gouvernance de Bolsonaro a complètement inversé ce processus graduel. Il a contribué à l’érosion des relations entre les gouvernements nationaux et fédéraux et les institutions transnationales. En somme, au cours des quatre dernières années, la démocratie brésilienne a été remise en question.
Nous avons maintenant la mission de rassembler la société civile et les institutions scientifiques. Nous avons besoin de transparence, de crédibilité et d’ambition pour mettre en œuvre cet agenda en nous tournant vers l’avenir et non pas vers le passé. Nous devons concevoir et mettre en place des institutions capables de relever les défis considérables qui nous attendent. Lula a l’occasion de revoir la stratégie du Brésil en partant de zéro et de proposer quelque chose de nouveau : une vision commune, des objectifs et des intérêts communs pour s’assurer que nous pouvons aller de l’avant sans nouveaux reculs.
En termes de coopération internationale, maintenant que Lula a gagné les élections, nous dirigeons-nous vers un accord commercial entre l’Union européenne et le MERCOSUR ?
Le Brésil avait de bonnes relations avec tous les acteurs internationaux. L’Union européenne fait partie de cet ensemble de partenaires. Nous avions une très bonne relation bilatérale avec l’Union européenne et individuellement avec des pays européens comme l’Allemagne, par exemple.
Ce dont le Brésil a besoin, à mon avis, c’est d’un dialogue ouvert. Nous devons avoir une discussion sur les accords commerciaux internationaux, notamment celui avec le Mercosur, dont nous discutons depuis vingt ans. Je suis convaincu que le nouveau gouvernement brésilien rétablira les bases politiques des dialogues et des actions multilatérales dont nous avons besoin, notamment en termes de coopération dans la lutte contre le changement climatique.
Il existe actuellement deux accords : l’un politique et l’autre commercial. Je suis confiante que le gouvernement brésilien prendra les mesures nécessaires de manière à ce que nous puissions conclure cet accord de libre-échange.
Quelles conséquences la guerre en Ukraine va-t-elle avoir sur ces perspectives ?
La guerre en Ukraine est très complexe et délicate, mais d’après les discussions que j’ai eues avec des partenaires comme la France, il y a un intérêt pour aller de l’avant. Le Brésil est un pays de paix. Nous faisons partie d’un ensemble de quinze pays qui maintiennent des relations avec tous les autres pays du monde.
Je crois vraiment que le Brésil et l’Union européenne doivent se concerter. Bien sûr, la guerre a changé nos perspectives, mais je suis convaincue que, malgré la guerre et, plus généralement, la situation inhabituelle d’un conflit de haute intensité en Europe au XXIe siècle, nous serons en mesure de trouver un accord. Nous devons également prendre en compte les impacts de la guerre sur la sécurité alimentaire, climatique et énergétique, ainsi que la diversité des arrangements géopolitiques.
Je suis certaine que la relation bilatérale entre le Brésil et l’UE est suffisamment solide pour gérer ces différentes questions. D’après les discussions que j’ai eues, les deux parties souhaitent avancer de concert. Plus largement, nous devons trouver des solutions aux conséquences de la guerre dans les pays en développement : ce qui se passe en Afrique est inacceptable.
La guerre en Ukraine n’est pas le seul point de tension possible. Comment le gouvernement de Lula va-t-il se positionner par rapport à la discussion sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ?
Je ne sais pas quelle sera la position du nouveau gouvernement. Cependant, nous croyons aux accords bilatéraux et non pas aux décisions unilatérales, car le degré de transparence et de crédibilité que nous devons construire au niveau mondial est impossible sans confiance. Je crois que la société brésilienne veut remettre le climat au cœur des priorités. Nous allons aborder les questions de déforestation. Il est dans notre intérêt d’avoir, par exemple, une production de viande bovine sans déforestation.
D’autre part, il est très important que la communauté internationale soit consciente de ce qui se passe au Brésil, de la façon dont les chaînes d’approvisionnement sont liées. Nous devons avoir des réponses plus coordonnées : le commerce international ne doit pas permettre ou accélérer la déforestation illégale. Il est absolument inacceptable que quelqu’un puisse acheter des produits qui proviennent de procédures illégales. Nous devons avoir un processus, pour découpler les activités, et pas seulement pour les commissions internationales mais aussi pour nos consommateurs nationaux. Nous avons les technologies, nous avons les engagements du secteur privé, maintenant nous avons besoin de traçabilité comme nous l’avons fait dans le passé, par exemple avec le contrôle des sols.
J’espère que le gouvernement Lula en fera l’une de ses principales priorités.
Comment le Brésil et, plus généralement, l’Amérique latine peuvent-ils dépasser la tension entre la lutte contre le changement climatique et des situations socio-économiques difficiles qui peuvent nécessiter de s’appuyer, au moins à court terme, sur des combustibles fossiles ?
L’Amérique latine présente une variété de situations et de réalités. L’Amérique centrale est absolument différente de l’Amérique du Sud.
L’Amérique du Sud a deux grands défis à relever. Premièrement, la protection de l’Amazonie. Le président élu Lula a raison de souligner l’importance de la cohésion autour de la question de l’Amazonie. Nous avons déjà l’Organisation du traité de coopération amazonienne, ce qui signifie que le cadre institutionnel existe. Un pas en avant serait d’aborder la coopération au niveau présidentiel, et pas seulement au niveau des ministères des affaires étrangères. Nous devons faire évoluer politiquement les processus institutionnels existants.
Ensuite, vous avez raison de le souligner, nous devons diminuer les émissions tout en gérant les aspects à court terme. Pour y parvenir, nous devons nous rassembler politiquement et comprendre où nous en sommes. L’année prochaine, nous discuterons de la question de la réforme des institutions de Bretton Woods et il est très important pour nous de comprendre le nouveau rôle des banques multilatérales de développement. Au Brésil, nous avons une puissante banque nationale de développement.
Qu’est-ce que cela signifie exactement ?
Nous devons connecter les différents points, nous n’avons pas beaucoup de temps à perdre. Les actions communes et la solidarité en termes de climat, de sécurité alimentaire et d’éducation peuvent être au centre de ce processus. Il est inacceptable que dans un pays comme le Brésil, nous ayons des problèmes de sécurité alimentaire, alors que nous sommes l’un des plus importants exportateurs de produits alimentaires au monde. C’est également le cas du Chili.
Nous avons en Amérique du Sud, et particulièrement au Brésil, en termes de ressources naturelles et de biodiversité, des alternatives pour faire face à cette multitude de crises. Il y a de fortes chances que l’année prochaine soit encore plus difficile. Nous devons donc nous unir et, considérant nos préoccupations environnementales et la crise qui s’annonce, dialoguer et nous assurer que nous sommes alignés. C’est mon espoir : que les pays d’Amérique latine prennent en compte cette diversité de réalités et se rassemblent pour promouvoir un développement durable qui pourrait également renforcer nos démocraties.
Mais comment mobiliser une vision politique commune ? Trouver des partenariats innovants est l’une des plus grandes tâches politiques des années à venir.
Est-ce que la coopération environnementale est une opportunité pour catalyser plus de synergies Sud-Sud ?
Lorsque nous concluons une alliance, il est très important de comprendre comment cette décision va nous permettre d’avancer dans la transition écologique, sur des sujets aussi précis que le financement climatique par exemple. Dans ce contexte, la coopération Sud-Sud est particulièrement importante, car nous devons inscrire cette volonté politique dans un cadre institutionnel. Nous pouvons développer des outils pour traduire nos points de vue politiques et obtenir des gains rapides pour les populations locales. Il est donc très important de disposer de pistes communes pour se réunir et envisager différentes réalités sur la base des engagements que nous avons pris.
Nous devons également comprendre les impacts des différentes réalités et comment les mettre en pratique. Pour changer nos réalités, nous avons besoin de flexibilité. Cela signifie que nous devons promouvoir les conditions institutionnelles, non seulement dans le secteur public, mais aussi pour rapprocher le secteur privé et la société civile de notre engagement en matière de vision à long terme. Ainsi, lorsque vous vous rendez dans la région amazonienne du Brésil, nous avons un grand défi à relever : comment discuter des infrastructures si nous voulons promouvoir l’inclusion et le bien-être de notre société. Comment parler du manque d’infrastructures numériques ?
Tout est interconnecté : les taux les plus bas de l’indice de développement humain au Brésil se trouvent en Amazonie. Il est donc très intéressant de voir comment nous pouvons combiner nos défis en matière d’éducation et de santé publique avec la protection de l’Amazonie. Nous devons aller au cœur des problèmes des sociétés pour promouvoir la sécurité et le développement.
Selon les critères internationaux, ces pays sont tous des pays à revenu intermédiaire. Mais lorsque vous entrez dans la région amazonienne, les taux et les indices montrent que nous ne sommes que des pays à faible revenu. La communauté internationale ne le voit pas parce que nous avons des critères fixes. Nous devons donc mettre en avant ces réalités dans les forums internationaux, afin de débloquer certaines procédures qui amèneront les financements privés. Ce n’est pas à petite échelle que nous allons résoudre ces défis.
citer l'article
Izabella Teixeira, «Trouver des partenariats innovants est l’une des plus grandes tâches politiques des années à venir», Groupe d'études géopolitiques, Jan 2023, 113.