De l’utilité des COP pour répondre à l’urgence climatique
Laurent Fabius
Président du Conseil constitutionnel français, ancien Premier ministre et Ministre des Affaires étrangères et du Développement internationalIssue
Issue #1Auteurs
Laurent Fabius21x29,7cm - 167 pages Numéro #1, Septembre 2021
La puissance écologique de la Chine : analyses, critiques, perspectives
En 2015 et dans les mois qui suivirent, l’Accord de Paris et la COP 21 qui l’a permis ont fait l’objet d’un large soutien de l’opinion et d’un réel mouvement d’espoir. En même temps que l’Accord était adopté, l’acronyme « COP », terme générique anglais qui désigne en droit international la « Conference Of Parties » regroupant l’ensemble des Etats parties à un Traité, passait du langage d’initiés au langage courant.
Depuis, les critiques ne manquent pas à l’égard des COP pour reprocher à ces vastes événements annuels de ne pas ou plus produire des résultats suffisants, d’être lourds et coûteux. Certains suggèrent même que cette formule pourrait être remplacée par des accords réservés aux grands pollueurs (le G20) ou par des réunions souples sur la seule base du volontariat. Ils en concluent que la négociation interétatique au sein de l’ONU, la méthode des COP, ne fonctionne plus et qu’il faudrait procéder autrement.
D’une façon paradoxale, les critiques contre les COP de la part des climatosceptiques sont parfois rejointes par les discours tenus dans certains milieux « pro-climat ». L’argumentation est évidemment différente : « Nous en avons assez, disent ces derniers, des réunions au sommet. Stop aux grands-messes ! On ne peut rien attendre des gouvernements. C’est aux citoyens eux-mêmes qu’il revient d’agir. » La solution se trouverait selon eux dans ce qu’on appelle l’« écologie du quotidien », dans les « petits gestes », dont l’addition, étendue au niveau mondial, serait mieux capable d’obtenir les résultats espérés. Pour ma part, je suis convaincu que nous avons besoin à la fois des uns et des autres. La controverse, voire l’opposition, entre ces deux formes d’actions – globale et locale, collective et individuelle, gouvernementale et citoyenne – apparaît vaine. Progresser implique « petits gestes » et « grandes décisions », examinées souvent dans les COP.
Les COP sont en réalité faites pour placer chaque gouvernement, chaque acteur devant ses responsabilités, face à l’opinion mondiale et dans la durée. La confrontation périodique de tous les acteurs de la société politique, scientifique et civile, en un même lieu, à un même moment, pour un même but, sous les auspices de l’ONU et le regard critique de l’opinion internationale, est certes complexe, mais elle apparaît indispensable. Les grands pays pollueurs, et leurs dirigeants, doivent être placés publiquement devant leurs responsabilités mondiales. Les plus petits pays doivent eux aussi pouvoir être entendus, ce qui serait impossible si on confiait par exemple au seul G20 le soin de décider en matière climatique. Les COP fixent un cap, un horizon, pour l’action. Elles sont aussi des accélérateurs de décision. Si chacune est différente, toutes ont en commun de sensibiliser le grand public et de renforcer la culture citoyenne de lutte contre le dérèglement climatique. Supprimer les COP reviendrait à offrir un cadeau aux climatosceptiques et aux adversaires du multilatéralisme. Face à ce problème mondial essentiel, les COP ont le mérite de faire pression sur tous les États pour dialoguer, évaluer et décider. Ce serait une faute de les abandonner.
Cela ne signifie pas que toutes les COP soient des réussites et que toutes leurs modalités soient exemplaires : certaines ont été décevantes, dont l’exemple le plus cité est Copenhague en 2009. Pour autant, chacune a apporté quelque chose ou, du moins, traduit la réalité de la situation sous le regard du monde entier. Il n’y a pas de recette pour en garantir le succès. À chaque COP, la détermination d’objectifs accessibles et compréhensibles par le plus grand nombre est essentielle. Un calendrier du programme des COP sur cinq ans – innovation importante – permettrait de mieux évaluer les objectifs et les résultats.
Pour prendre les plus récentes, la COP 20, à Lima en 2014, sous la présidence de Manuel Pulgar Vidal, a fait avancer la préparation de la Conférence de Paris en 2015 et installé l’agenda pour l’action « Lima-Paris », réunissant ainsi dans une même enceinte les initiatives des États, des collectivités locales et des entreprises. La COP 21, sous ma présidence, a permis l’Accord « historique » de Paris. La COP 22 de Marrakech en 2016 a prolongé utilement l’Agenda de Lima et les résultats de Paris. Les COP 23 de Berlin et 24 de Katowice n’ont pas pu aboutir à rehausser les ambitions générales des États, mais elles ont permis d’élaborer une grande partie du règlement d’application (« rulebook ») de l’Accord de Paris. La COP 25 de Madrid, si elle a légèrement avancé sur la question majeure des océans, n’a pas pu rehausser les ambitions globales des États, ni régler, comme on pouvait l’espérer, les questions résiduelles liées au règlement d’application et appelées par les spécialistes « article 6 » (marchés du carbone) et « article 8 » (financement des pertes et dommages).
La COP 26 qui doit se tenir cette année à Glasgow sera cruciale. Elle devra notamment enregistrer les nouvelles contributions déterminées nationales (CDN) des États, c’est-à-dire leurs engagements, attendus en hausse. Elle marquera l’entrée en application effective de l’Accord de Paris. Ses priorités sont l’engagement concret des pays développés à financer la transition écologique des pays en développement à hauteur d’au moins 100 milliards de dollars par an, les discussions sur les mécanismes de marchés carbone et les plans d’adaptation des pays aux effets du changement climatique. Elle devra se préoccuper d’adaptation et pas seulement d’atténuation. La COP de Glasgow montrera si, comme il est crucial de le décider, la relance économique postpandémie Covid-19 nous fait progresser vers une société bas-carbone ou si en réalité on y renonce. Pour cela la pré-COP 26 et les rencontres internationales en amont de la conférence joueront un rôle clef. Le sommet climat organisé par les Etats-Unis le 22 avril 2021 à l’occasion de la journée de la Terre et les sommets du G7 et du G20, présidés par le Royaume-Uni et l’Italie, devront favoriser concrètement l’action. La COP 26 renforcera les liens entre lutte contre le changement climatique, préservation de la biodiversité et objectifs du développement. Quant à son format, il est essentiel qu’elle puisse se tenir en présentiel afin de faciliter les négociations.
Le succès de Paris n’a été possible que par la confiance construite avec les participants sur place et par les discussions informelles qui se sont tenues jusqu’au dernier moment : les modalités des négociations influent évidemment sur leur contenu.
Avec la Conférence de Paris 2015, les objectifs en matière de lutte contre le réchauffement ont été décidés : on ne va pas recommencer chaque année. Il faut à présent les appliquer. Les COP doivent perdurer mais aussi évoluer. Elles ont été longtemps des instances consacrées à la négociation d’objectifs. Elles doivent maintenant davantage viser à évaluer les résultats, à fixer les ambitions à court, moyen et long termes, et à coordonner les actions de tous les partenaires, à la fois publics et privés. Ce faisant, elles tracent la voie pour une forme nouvelle de multilatéralisme à la fois universel, transparent, inclusif et ouvert, où coexistent obligations mondiales, engagements de chaque Etat et adhésion des sociétés civiles. Face au défi global et urgent du dérèglement climatique, des COP rassembleuses et ambitieuses, soigneusement préparées, sont essentielles pour favoriser l’action.
citer l'article
Laurent Fabius, De l’utilité des COP pour répondre à l’urgence climatique, Groupe d'études géopolitiques, Sep 2021, 11-12.