Élections parlementaires en Catalogne, 14 février 2021 (I)
Robert Liñeira
Maître de conférences à l'universite de GlasgowIssue
Issue #1Auteurs
Robert Liñeira21x29,7cm - 107 pages Issue #1, Septembre 2021 24,00€
Élections en Europe : décembre 2020 – mai 2021
La Catalogne a tenu ses treizièmes élections parlementaires en pleine pandémie de Covid-19, après des années au cours desquelles le conflit entre les partis indépendantistes et les gouvernements espagnols successifs a dominé et polarisé l’agenda politique. Avec un taux de participation très faible, les résultats de ces élections montrent un soutien record pour les partis de gauche et donnent une majorité relative aux partis pro-indépendance. Les dernières évolutions électorales se sont traduites par un parlement très fragmenté et, dans une moindre mesure, par des changements dans les majorités gouvernementales, Esquerra Republica de Catalunya (ERC) étant susceptible de détenir la présidence pour la première fois depuis que l’Espagne a restauré la démocratie et les institutions d’autonomie.
Dans ce qui suit, nous analysons les évolutions des résultats électoraux par rapport à l’élection de 2017, les principaux changements dans la composition du Parlement, et les options pour la formation du gouvernement. Enfin, dans la dernière section, nous évoquons les transferts de voix entre ces élections et les précédentes.
Résultats
Le taux de participation de 53,5% est le plus faible jamais enregistré pour une élection du Parlement catalan. Cette abstention record est en grande partie due à la pandémie : les élections se sont déroulées avec les restrictions établies par ce que l’on appelle « l’état d’alarme », une incidence élevée des infections et des hospitalisations, et des créneaux de vote différents pour les personnes infectées ou les membres des groupes à risque le jour des élections. La baisse de la participation est également liée à une perception différente de l’enjeu de l’élection. Les élections de 2021 contrastent avec les précédentes, en 2015 et 2017, qui ont établi des records de participation, à 75 et 79,1 % respectivement. Les élections de 2015 ont été assimilées à un référendum d’indépendance par les partis indépendantistes, tandis que les élections de 2017 ont suivi le référendum d’indépendance d’octobre, la dissolution du parlement catalan proposée par le gouvernement espagnol et adoptée par le Sénat espagnol, ainsi que l’emprisonnement et l’exil de plusieurs dirigeants indépendantistes.
Le premier graphe de l’encart « les données » présente les résultats des élections de 2021 et les compare aux précédentes. Les principaux changements concernent les deux plus grands partis. Pour la première fois depuis 2003, le Parti socialiste (PSC) arrive en tête, alors que, fait inédit depuis les premières élections au Parlement catalan en 1980, l’ERC devient la première force indépendantiste. ERC dépasse en effet Junts per Catalunya (JxCat), principal successeur historique du parti CiU qui a occupé la présidence de la Catalogne pendant plus de 28 ans, mais aussi membre dominant de la coalition indépendantiste qui gouverne la Catalogne depuis 2015. D’autres changements importants concernent la chute spectaculaire du soutien à Ciudadanos (Cs) — passé de premier parti au sein du parlement, avec 25,4 % des voix, à septième, avec 5,6 — et l’irruption de Vox, avec 7,7 % des voix. La Candidatura d’Unitat Popular (CUP) a amélioré ses résultats, tandis que En Comú Podem (ECP) et le Partido Popular (PP) voient leur soutien diminuer pour une troisième élection consécutive.
Dans l’ensemble, le système des partis catalans s’est déplacé vers la gauche — avec 58 % des voix, soit 10 points de plus qu’il y a quatre ans — et s’est dépolarisé au sein des blocs autoproclamés indépendantistes et pro-constitution.
Ces changements sont parfaitement illustrés par la montée du PSC et le dépassement de JxCat par l’ERC. Les blocs ne sont plus dirigés par Cs et JxCat mais par le PSC et ERC, des partis de gauche qui sont également plus enclins à conclure des accords avec les partis de l’autre bloc. En ce qui concerne l’équilibre du pouvoir entre les partis pro-indépendance et les partis pro-constitution, des changements quantitativement mineurs se traduisent par un changement qualitatif substantiel. Pour la première fois, les partis pro-indépendance bénéficient d’une majorie relative dans les urnes : ERC, JxCat, CUP et PDeCat obtiennent ensemble 50,7 % des voix, contre 48,1 et 47,7 % en 2015 et 2017. Ces changements électoraux produisent le parlement le plus fragmenté qu’ait connu la Catalogne depuis 1980. Huit partis ont obtenu une représentation et aucun d’entre eux n’a dépassé le seuil de 25 % des voix — là encore, du jamais-vu. Le système de partis catalan est désormais composé de trois grands partis (PSC, ERC et JxCat) coexistant avec cinq petits partis qui n’atteignent ni 10 % des voix ni 10 % des députés.
Un paysage aussi fragmenté ne rend plausibles que deux majorités : une coalition de partis indépendantistes (ERC, JxCat et CUP) ou une réédition du gouvernement tripartite de gauche qui a dirigé la Catalogne entre 2003 et 2010 (PSC, ERC et ECP). Les deux coalitions ont 74 sièges, dépassant donc de six la majorité nécessaire de 68 sur 135 députés. Cependant, seule la coalition indépendantiste est finalement apparue comme possible. La polarisation politique sur la question territoriale au cours des dernières années, ainsi que la concurrence politique au sein de chacun des blocs, rendaient improbable tout accord entre les partis indépendantistes et les partis pro-constitutionnels à court terme. Un gouvernement indépendantiste (avec ou sans majorité) apparaissait comme l’option la plus crédible pour éviter une élection anticipée.
Dynamiques électorales
Les dynamiques électorales lors de ces élections ont été très marquées. La volatilité globale est de 20,9 %, ce qui signifie qu’au moins un Catalan sur cinq a changé son vote. Si l’on ajoute à l’équation les électeurs démobilisés lors de ces élections, le niveau de changement est beaucoup plus élevé.
L’évolution globale et relative du soutien à chaque parti est présentée dans la figure a. L’effet combiné de la pandémie et de la perte d’importance de l’élection s’est traduit par 1,5 million d’électeurs de moins qu’en 2017. Logiquement, cela signifie que tous les partis ont perdu des voix en termes absolus, à l’exception du PSC et de Vox, qui n’avait pas participé aux élections il y a quatre ans. En termes relatifs, la chute la plus importante est celle de Ciudadanos, qui a perdu 86% de son électorat. Le reste des partis évolue dans des niveaux similaires de pertes relatives, entre 36 et 40 % de leurs votes en 2017.
Afin de savoir comment les transferts électoraux ont pu fonctionner par rapport à l’élection précédente avant que les études post-électorales ne soient disponibles, nous analysons dans la figure 2 les changements enregistrés dans les plus de 5 000 circonscriptions dans lesquelles sont organisées les élections en Catalogne. Plus précisément, nous décrirons les deux principaux changements quantitatifs : la baisse de la participation et la perte de soutien de Ciudadanos.
Chacun des points de la figure b représente une circonscription, tandis que les axes montrent la différence entre le pourcentage de participation en 2021 et en 2017, et l’évolution du soutien aux partis indépendantistes (figure b, gauche) et aux partis pro-constitution (figure b, droite). Les chiffres suggèrent que la démobilisation a nui aux partis pro-constitution : leur soutien a davantage diminué dans les sections où le taux de participation a le plus baissé.
La figure c réalise le même exercice mais met en relation la chute du soutien à Ciudadanos avec l’évolution du soutien de ses principaux concurrents. La chute de Ciudadanos coïncide, d’une part, avec les quartiers où la participation a le plus baissé, mais aussi avec ceux où Vox et le PSC font leurs meilleurs résultats, mettant en évidence à la fois un schéma de démobilisation mais aussi de transfert de voix vers les partis de droite et de gauche.
Les données
citer l'article
Robert Liñeira, Élections parlementaires en Catalogne, 14 février 2021 (I), Groupe d'études géopolitiques, Sep 2021, 31-33.