Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Élections parlementaires en Islande, 25 septembre 2021
Issue #2
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Issue #2

Auteurs

Eva H. Önnudóttir

21x29,7cm - 167 pages Numéro 2, Mars 2022 24,00€

Élections en Europe : juin 2021 – novembre 2021

Des élections législatives ont eu lieu en Islande le 25 septembre 2021. Le taux de participation a été de 80,1 %. Lors de ces élections, la coalition gouvernementale a bénéficé d’une légère augmentation de sa majorité parlementaire : il s’agit ainsi du premier gouvernement islandais qui réussit à préserver sa majorité dans les urnes depuis l’effondrement du système financier en 2008. Depuis lors, la politique islandaise a été turbulente, avec trois élections anticipées en 2009, 2013 et 2016, et seules deux coalitions gouvernementales — dont le gouvernement en place lors des élections de 2021 — sont parvenus au terme de leur mandat. Le gouvernement en poste en 2009 a été renversé après des mois de protestations suite au crash économique du pays, tandis que les autres coalitions gouvernementales qui ont vu leur mandat s’achever prématurément ont perdu le pouvoir à la suite de scandales impliquant des ministres du gouvernement (voir par exemple Harðarson et Önnudóttir 2018). La coalition sortante en 2021 a été formée à la suite des élections de 2017, au cours desquelles huit partis ont été élus au parlement. La coalition est inhabituelle dans le sens où elle comprend trois partis idéologiquement distincts, le Mouvement des verts et de gauche (un parti de gauche), le Parti du progrès (un parti du centre) et le Parti de l’indépendance (un parti de droite).

Parmi les partis gouvernementaux, le Parti du progrès (B) a été le principal vainqueur de l’élection, augmentant son soutien électoral de 6,6 points de pourcentage, tandis que le Mouvement des verts et de gauche (V) et le Parti de l’indépendance (D) ont perdu du soutien (-4,5 et -0,8 pp). Dix partis ont présenté des candidats dans tout le pays : les huit partis parlementaires et deux nouveaux partis, le Parti socialiste (J) et le Parti libéral-démocrate (O) ; un parti, Avenir responsable (A), a présenté des candidats dans une seule circonscription. Aucun des trois nouveaux partis n’a obtenu suffisamment de voix pour atteindre les seuils électoraux ­­— 5 % des voix au niveau national ou un membre élu dans l’une des six circonscription — nécessaires pour entrer au parlement. Avant l’élection, les sondages indiquaient que le Parti socialiste obtiendrait entre 6 et 9 % des voix, mais il n’a finalement réuni que 4,1 % et n’a obtenu aucun député. Les deux autres nouveaux partis ont obtenu moins de 0,5 % des voix chacun. Parmi les partis d’opposition, le Parti du peuple (F — un parti social de centre-gauche) et le Parti de la réforme (C — un parti libéral de centre-droit) ont légèrement augmenté leurs scores (+1,9 et +1,6 pp), tandis que les trois autres partis d’opposition, l’Alliance sociale-démocrate (S, -2,2 pp), le Parti pirate (P, -0,6 pp) et le Parti du centre (M, -5,5 pp) ont perdu du soutien. Le résultat de l’élection est en grande partie conforme à ce que les sondages indiquaient avant l’élection, avec toutefois quelques rebondissements. Par exemple, les partis gouvernementaux semblent avoir été systématiquement sous-estimés dans les sondages, tandis que certains autres partis (par exemple, le Parti pirate et le Parti de la réforme) ont été systématiquement surestimés. Ces divergences pourraient être dues à plusieurs raisons, par exemple à des erreurs systématiques dans les sondages ou à certaines tendances chez les électeurs quant au choix des candidats dans les derniers jours avant l’élection.

La campagne électorale pendant l’épidémie de Covid-19

L’élection a eu lieu en période de Covid-19. Cependant, la pandémie et la manière d’y faire face ne constituaient pas un enjeu électoral majeur. Cela pourrait être dû au fait qu’au moment de l’élection, plus de 70 % des habitants du pays avaient été pleinement vaccinés. En outre, la population était généralement satisfaite de la manière dont le gouvernement et les autorités sanitaires avaient géré la crise (Rakning 2020). Le gouvernement a largement suivi les conseils des autorités sanitaires dans la lutte contre la pandémie, et ce sont les scientifiques qui ont été au premier plan de la lutte, par exemple lors de briefings réguliers à la télévision, alors que les ministres du gouvernement n’étaient pas sous les feux de la rampe. Le gouvernement a augmenté les dépenses et le soutien aux entreprises qui souffraient de la crise ; sur les deux fronts ­— lutte contre la pandémie et mesures de soutien à l’économie —, les actions du gouvernement ont été largement soutenues par les partis d’opposition. Ainsi, le Covid-19 et la façon dont il a été traité n’ont pas été un sujet de discorde dans la campagne électorale.
Au lieu de cela, les principales questions jugées importantes par les électeurs concernaient le système de soins de santé, l’économie, la protection sociale et le niveau de vie, ainsi que les questions environnementales et le changement climatique (ÍKSOS 2021). Il s’agissait également des principaux thèmes abordés lors de la campagne électorale. Mais même si le Covid et la réponse du gouvernement à la pandémie n’ont pas été un thème important de la campagne, l’impact de la pandémie s’est reflété dans les discussions sur l’état du système de santé, de l’économie, du bien-être social et du niveau de vie. La pandémie a notamment mis en lumière les lacunes du système national de soins de santé, par exemple le manque de personnel et le fait que le système de santé était déjà surchargé avant la pandémie en termes de lits. Comme dans d’autres pays, l’économie a souffert de la pandémie, le chômage a augmenté et les entreprises ont fermé temporairement ou définitivement. Il n’est donc pas surprenant que ces questions et la manière de les traiter aient été l’un des principaux thèmes de la campagne électorale et que les discussions se soient alignées selon l’axe idéologique gauche-droite quant à ce que seraient les actions appropriées du gouvernement.
La cinquième question principale de la campagne concernait l’avenir du gouvernement sortant. Les partis d’opposition ont fait campagne pour un changement de gouvernement, ce qui n’est bien sûr pas inhabituel. Ce qui est plus inhabituel, c’est que même si les trois partis gouvernementaux, de gauche à droite, sont en désaccord sur les politiques des principaux enjeux de l’élection, par exemple sur la façon de gérer le système de santé et sur le montant des fonds publics que le gouvernement devait consacrer au soutien aúx entreprises, les partis sont restés unis et ont plaidé pour le maintien de leur coalition et la stabilité de la politique islandaise.
À ce stade, les raisons pour laquelle certains partis ont obtenu de meilleurs résultats que d’autres à la suite de leur campagne sont encore incertaines. Toutefois, on peut supposer que les partis gouvernementaux ont réussi à défendre la stabilité et le maintien de leur coalition. Le fait que le seul parti gouvernemental à avoir augmenté son score soit le Parti du progrès, issu du centre, pourrait indiquer que les électeurs favorables à la poursuite de l’actuelle coalition gouvernementale aient opté pour le parti le plus central comme stratégie pour maintenir le gouvernement au pouvoir. Autrement dit, au lieu d’accorder leur soutien aux partis de droite ou de gauche, ce qui aurait pu entraîner un changement de gouvernement (vers la gauche ou la droite), les électeurs ont opté pour la voie moyenne, augmentant ainsi la probabilité que le gouvernement se maintienne.

Un clivage rural-urbain

Historiquement, le clivage rural-urbain, c’est-à-dire le conflit entre les intérêts des zones urbaines et rurales, a été, avec le clivage économique gauche-droite, l’un des principaux clivages structurant la politique islandaise (Önnudóttir et Harðarson 2018). En Islande, la plus grande zone urbaine comprend la capitale et les villes environnantes. Par exemple, en 2016, 63 % de la population électorale islandaise (332 529) résidait dans la région de la capitale, le reste des électeurs étant dispersé dans le pays, dans des villes plus petites, des villages et des zones rurales.
Les six circonscriptions de l’Islande sont réparties de manière égale entre la capitale, avec trois circonscriptions géographiquement petites mais urbaines (Reykjavik Nord, Reykjavik Sud et Sud-Ouest), et les zones rurales qui comptent trois circonscriptions (Nord-Ouest, Nord-Est et Sud) couvrant la majeure partie du pays. Historiquement, les zones rurales ont été surreprésentées au parlement islandais. Après les derniers changements apportés au système électoral, qui sont entrés en vigueur lors des élections de 2003, cette disproportion entre la capitale et le reste du pays a été réduite dans une certaine mesure, mais pas entièrement éliminée. Ce clivage rural-urbain se reflète dans le soutien des partis. Par exemple, le Parti du progrès et le Parti du centre (voir figures a et b) bénéficient tous deux d’un soutien plus important à la campagne que dans la capitale, tandis que des partis tels que le Parti pirate, l’Alliance sociale-démocrate et le Mouvement des verts et de gauche sont plus forts dans la capitale (voir figures c, d et e).

L’élection et le recomptage

Après un premier dépouillement des suffrages, il était apparu possible que la représentation féminine au parlement dépasse 50 % (en l’occurence, 33 députés sur 63), ce qui aurait constitué une première dans l’histoire des États démocratiques modernes. À peine quelques heures plus tard, cependant, cet espoir fut déçu. Après un recomptage dans l’une des circonscriptions (Nord-Ouest), la représentation féminine est en effet tombée à 48 % (30 sur 63 députés). Dans un premier temps, ce recomptage n’a pas changé le nombre total de sièges remportés par chaque parti, mais il a modifié la répartition des sièges d’ajustement au sein des partis. Plus tard, cependant, il est également apparu qu’entre les deux dépouillements, qui se déroulaient dans un hôtel, les bulletins de vote avaient été laissés dans une pièce à laquelle le personnel de l’établissement avait accès, sans que les urnes fussent préalablement scellées comme l’exige la loi électorale islandaise. Des voix se sont alors élevées pour remettre en question le résultat de l’élection. Un candidat a porté plainte auprès de la police, tandis que plusieurs candidats et électeurs ont déposé des recours au parlement pour contester les résultats de l’élection dans la circonscription du Nord-Ouest. L’enquête menée par la police a finalement conduit à la condamnation des agents chargés de l’élection dans la circonscription du Nord-Ouest à des amendes pour infraction à la loi électorale concernant la conservation des bulletins de vote. À la suite de l’enquête du parlement, qui a duré plus d’un mois, trois propositions ont été mises au vote. Deux d’entre elles, qui prévoyaient la tenue d’une réélection dans l’ensemble du pays ou dans la seule circonscription du Nord-Ouest, ont été rejetées. La troisième proposition, qui validait le résultat du recomptage, a été acceptée.

Le système électoral et les députés surnumériaires

En 1999, une modification de la constitution a permis d’apporter des changements à la loi électorale afin de garantir l’égalité entre les partis — sans que de tels changements nécessitent, comme auparavant, une modification de la constitution. Avant la réforme, le Parti du progrès avait toujours été surreprésenté au Parlement, notamment parce que le système électoral favorisait les zones rurales. Lors des premières échéances électorales ayant fait suite à la réforme, celle-ci a semblé porter ses fruits : lors des élections de 2003, 2007 et 2009, tous les partis ayant atteint le seuil d’éligibilité se sont vus attribuer un nombre de députés strictement proportionnel à leur part de voix. Cependant, en 2013, la situation a changé lorsque le Parti du progrès a obtenu un député supplémentaire au détriment du Mouvement de gauche et des verts ; ce même schéma s’est répété à chaque élection nationale depuis lors. En 2016, le Parti de l’indépendance a obtenu un député surnuméraire, pris au Mouvement de gauche et de verts ; en 2017, c’était au tour du Parti du progrès de ravir par le même mécanisme un siège à l’Alliance sociale-démocrate ; en 2021, ce même parti a à nouveau obtenu un député de plus que sa part électoral, cette fois au détriment du Parti de l’indépendance. Le Parlement peut facilement éliminer cet écart entre les votes et les députés en modifiant la loi électorale. Tous les partis se disent favorables à au respect strict de la proportionnelle. Cependant, le Parlement n’a pas encore corrigé cet écart qui s’est produit quatre fois de suite.

Fragmentation du système des partis

Avant la grande récession de 2008, le nombre de partis dans le système de partis islandais était plutôt stable. On comptait quatre partis principaux : le Mouvement des verts et de gauche, l’Alliance sociale-démocrate, le Parti du progrès et le Parti de l’indépendance ; dans les trois décennies précédant la crise, un autre parti « mineur » siégait également au parlement. Jusqu’aux élections de 2013, et à l’exception de 1987, le nombre effectif de partis parlementaires a varié entre 3.2 (en juin 1959) et 4.2 (en 2009) (Önnudóttir et al. 2022). Depuis lors, le nombre effect de partis parlementaires a augmenté, d’abord à 4,4 lors de l’élection de 2013, puis à 5,1 en 2016, 6,5 en 2017 et 6,3 lors de l’élection de 2021. Ainsi, au cours de la dernière décennie, la fragmentation du système de partis a augmenté. Cela a créé des défis pour les formations politiques ; l’un de ces défis tient à la nécessité de réunir plus de deux partis pour former une coalition gouvernementale, comme c’était la norme avant la crise économique.

Formation du gouvernement

Les trois leaders des partis de la coalition gouvernementale ont déclaré pendant la campagne favoriser l’option d’une poursuite de la coalition sortante en cas de maintien de leur majorité parlementaire. Peu après l’élection, ils ont entamé des négociations officielles pour la poursuite de leur coalition. Les négociations ont duré deux mois et, fin novembre, il a été annoncé que Katrín Jakobsdóttir, leader du Mouvement des verts et de gauche, resterait Premier ministre. Depuis longtemps, Katrín Jakobsdóttir est de loin la femme politique la plus populaire d’Islande. Les sondages montrent qu’environ 40 à 50 % de la population la préfèrent comme premier ministre, même s’ils ne soutiennent pas dans les mêmes proportions son parti, qui a obtenu 12,6 % aux dernières élections. Sa popularité en dehors des rangs de son propre parti fait de Katrín Jakobsdóttir le leader le plus crédible pour la coalition, composée de partis aux orientations idéologiques bien différentes.

Ce que l’avenir réserve au prochain gouvernement

L’un des principaux défis du prochain gouvernement sera d’orienter l’économie sur la voie de la reprise après la récession due à la pandémie. En 2020, l’Islande a vécu la plus grande contraction de la croissance économique depuis 1920. La réponse du gouvernement a été, entre autres, d’orienter les fonds publics vers les entreprises afin que celles-ci évitent une faillite ou une crise de liquidité malgré les fermetures temporaires causées par la pandémie. Au cours des prochaines années, nous pourrions assister à une augmentation des dépenses publiques afin d’accélérer la reprise des industries, en particulier l’industrie du tourisme qui a été une source majeure de revenus en Islande au cours des dix dernières années.
Au lendemain de sa formation suite aux élections de 2017, de nombreux observateurs avaient prédit que le gouvernement de Katrín Jakóbsdóttir ne pourrait pas se maintenir jusqu’à la fin de son mandat. Ils avaient tort , et le gouvernement s’est maintenu jusqu’au terme de la législature. Certains disent que la pandémie de Covid-19 a sauvé le gouvernement en éliminant de la sphère politique les questions potentiellement clivantes. Désormais, la coalition gouvernementale a de bonnes chances de durer — c’est du moins ce que suggère leur expérience commune des quatre années passées, qui a posé des bases solides pour leur coopération au sein du gouvernement actuel.

Références

Önnudóttir, E. H. & Harðarson, Ó. Þ. (2018). Political cleavages, party voter linkages and the impact of voters’ socio-economic status on vote-choice in Iceland, 1983-2016/17. Icelandic Review of Politics and Administration, special issue on power and democracy in Iceland, pp. 101-130.
Önnudóttir, E. H., Helgason, A. F., Þórisdóttir, H. & Harðarson, Ó. Þ. (2022). Politics Transformed? Change, Fluctuations and Stability in Iceland in the Aftermath of the Great Recession. Routledge.
Harðarson, Ó. Þ. & Önnudóttir, E. H. (2018) Election report Iceland. Scandinavian Political Studies, 41(2), pp. 233-237.
ÍSKOS (2021). Fylgisrakning fyrir Alþingiskosningar 2021. Íslenska kosningarannsóknin, félagsvísindastofnun Háskóla Íslands. En ligne.
Rakning (2020). COVID rakning. Félagsvísindastofnun Háskóla Íslands. En ligne.

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Eva H. Önnudóttir, Élections parlementaires en Islande, 25 septembre 2021, Groupe d'études géopolitiques, Mar 2022, 156-160.

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