Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Élections régionales en Hauts-de-France, 20-27 juin 2021
Issue #2
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Issue #2

Auteurs

Tristan Haute , Marie Neihouser

21x29,7cm - 167 pages Numéro 2, Mars 2022 24,00€

Élections en Europe : juin 2021 – novembre 2021

Les 20 et 27 juin 2021, les citoyens des Hauts-de-France ont été, comme partout en France, appelés aux urnes pour les élections régionales 1 . Ces élections ont été marquées par une très faible participation dans la région : 32,84 % au premier tour et 33,18 % au second tour contre respectivement 54,81 % et 61,24 % lors du précédent scrutin, en décembre 2015.
Alors que le scrutin s’est tenu en pleine crise liée à la Covid-19, cette démobilisation électorale, observé dans le reste du pays, mais encore plus importante dans les Hauts-de-France, n’a néanmoins pas été directement liée au risque sanitaire. Il n’y a ainsi pas eu, en juin 2021, de démobilisation plus importante des personnes âgées les plus à risque par rapport aux autres électeurs (Haute 2021), — contrairement à ce qui avait été observé lors des élections municipales de 2020 (Haute et al., 2021) —, ou encore des personnes non vaccinées ou hostiles à la vaccination. Si l’adhésion vaccinale est allée de pair avec une participation plus importante (Jaffré 2021), ce résultat se vérifiait déjà pour de précédents scrutins (Ward et al. 2020). La participation électorale lors de ces régionales a été en réalité dépendante des mêmes logiques sociales et politiques que lors du précédent scrutin de 2015 (Gougou 2017a : 52-53), avec une démobilisation bien plus massive des jeunes, des classes populaires et des électeurs les moins intéressés par la politique (Haute 2021 ; Jaffré 2021), trois catégories traditionnellement peu participationnistes.

Un paysage politique marqué par le déclin de la gauche et par la percée de l’extrême-droite

La région des Hauts-de-France (6 millions d’habitants), résultat de la fusion en 2015 des ex-régions Nord-Pas-de-Calais (4 millions d’habitants) et Picardie (2 millions), est une région historiquement ancrée à gauche, en particulier le Nord et le Pas-de-Calais. Toutefois, le Parti Socialiste (PS, S&D) et le Parti Communiste Français (PCF, GUE/NGL), qui disposaient de nombreux bastions dans la région, ont vu leurs résultats électoraux décliner fortement ces dernières décennies. En 2015, la gauche perd ainsi le contrôle de la région et de 4 des 5 départements, ne conservant qu’une courte majorité dans le Pas-de-Calais. Parallèlement, le Front national (FN), devenu Rassemblement national (RN, ID), enregistre, dès les années 1980, des résultats supérieurs à sa moyenne nationale dans la région. À partir de la fin des années 2000, le FN développe son implantation locale dans l’ancien bassin minier mais aussi dans des territoires plus ruraux de l’est de la région. Entre 2014 et 2020, le il conquiert dans la région 3 communes, 13 cantons et 5 circonscriptions législatives. Au premier tour de l’élection présidentielle de 2017, Marine Le Pen, candidate et présidente du FN, obtient dans la région un résultat supérieur de près de 10 points à sa moyenne nationale (31 % contre 21,30 % des suffrages exprimés).
En 2015, alors que la nouvelle région n’était que faiblement identifiée et ne disposait pas encore de nom, l’enjeu principal du scrutin régional était la possible victoire de la liste Le Pen (FN), ce qui avait donné lieu à une campagne fortement nationalisée (Lefebvre 2016) et suscité une mobilisation électorale plus importante qu’au niveau national. Arrivée en tête du premier tour (40,64 %) (voir figure a), celle-ci avait toutefois échoué au second tour (42,23 %) face à l’union de la droite et du centre conduite par Xavier Bertrand (57,77 %) (voir encart « les données »). Ce dernier, profitant, dans une logique « d’élections intermédiaires » (Parodi 1983), d’une démobilisation des électeurs favorables à la gauche, et notamment de ceux issus des classes populaires (Gougou 2017a : 50-51), était arrivé second du premier tour avec 24,97 % des voix. La gauche, divisée en trois listes, avait alors été contrainte de se retirer du second tour au profit de Xavier Bertrand pour faire barrage à l’extrême-droite (Dolez & Laurent 2016).
En 2021, la situation n’avait que peu évolué. Le RN, conduit par le député Sébastien Chenu, comptait bien conquérir la région, d’autant que les sondages antérieurs au premier tour le donnaient au coude-à-coude avec Bertrand, le Président sortant (32 % contre 33 % le 16 juin 2021) (OpinionWay 2021). Ce dernier, faisant de sa réélection aux régionales un préalable à ses ambitions présidentielles pour 2022, était parvenu à renouveler une liste d’union de la droite et du centre alors même qu’il avait quitté Les Républicains (LR, PPE). La majorité présidentielle, autour de La République en Marche (LREM, Renew) présentait une liste conduite par le Secrétaire d’État Laurent Pietraszewski, en charge de l’impopulaire réforme des retraites, et sur laquelle figurait 4 autres membres du gouvernement. Enfin, la gauche, ayant tiré les conclusions de sa défaite de 2015, présentait, dès le premier tour, une liste conduite par l’eurodéputée écologiste Karima Delli et associant Europe-Écologie-les-Verts (EELV, Verts/ALE), la France Insoumise (LFI, GUE/NGL), le PCF et le PS.
La campagne a été de très faible intensité en raison du contexte sanitaire. Le principal enjeu abordé a été l’insécurité, alors même que les compétences de la région sont réduites en la matière. Un deuxième enjeu, plus local certes mais ne relevant pas uniquement de la région, a été l’implantation fortement critiquée par l’extrême-droite et par la droite de parcs éoliens dans certains territoires ruraux des Hauts-de-France (Patinaux 2022). L’ambition présidentielle affichée de Bertrand et la présence massive de ministres sur la liste LREM, dont le Ministre de la Justice Éric Dupont-Moretti ou le Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, ont par ailleurs contribué à nationaliser la campagne. Toutefois, contrairement à 2015, le risque d’une conquête de la région par le RN est apparu bien moindre (OpinionWay, 2021), ce qui n’a pas contribuer à mobiliser les électeurs.

a • Résultats des élections régionales de 2021 dans les Hauts-de-France

Des résultats inattendus

Au soir du premier tour de 2021, Bertrand (LR) arrive largement en tête (41,42 %), devançant très nettement Chenu (RN, 24,37 %), Delli (union de la gauche et des écologistes, 18,97 %) et Pietraszewski (LREM, 9,13 %) (voir encart « les données »). Au second tour, Bertrand est très largement réélu avec 52,37 % des suffrages exprimés alors que le RN et la gauche ne progressent que très marginalement avec respectivement 25,64 % et 21,98 % (voir figure b).
La liste de la majorité présidentielle, éliminée du second tour comme dans de très nombreuses régions, a été victime de l’impopularité du gouvernement. En outre, la concurrence, au sein de sa base électorale, de Bertrand a été importante. En effet, ce dernier jouissait d’une forte notoriété et cultivait un certain localisme malgré ses ambitions présidentielles. En témoigne sa capacité à rassembler sur sa liste les différents courants de la droite et du centre ainsi que des représentants de la « société civile », issus notamment du monde patronal. À gauche, si le résultat de la liste d’union lui permet certes d’atteindre le second tour et de retrouver des sièges dans l’assemblée régionale (voir encart « les données »), il est cependant bien inférieur au total des voix des trois listes de gauche en 2015 (-9,30 points), ce qui témoigne de l’incapacité de l’union de la gauche et des écologistes à enrayer la démobilisation des groupes sociaux qui lui sont favorables (Gougou 2017a). Parallèlement, le RN a lui aussi été victime, comme dans toutes les autres régions, de la démobilisation électorale massive, ce qui est inhabituel (Gougou 2017a). En effet, les électeurs issus des classes populaires et confrontés à la précarité qui s’étaient tournés vers le FN en 2015 (Mayer 2017), se sont, en 2021, mis en retrait des urnes. À l’inverse, Bertrand a pu bénéficier à la fois d’une bien meilleure notoriété que ses autres concurrents et d’une base électorale plus prédisposée à se mobiliser : les électeurs de droite sont en nombre parmi les plus âgés, les plus diplômés ou les revenus les plus élevés (Sauger, 2017, p. 64-65), autant de groupes sociaux parmi les plus participants en juin 2021. Cette combinaison entre forte notoriété et moindre démobilisation de leurs bases électorales explique d’ailleurs que, au niveau national, l’ensemble des présidents sortants, de droite comme socialistes, ont été largement réélus. Rappelons en effet que l’un des rares traits distinctifs des électeurs du PS par rapport à ceux des autres partis de gauche est leur âge plus élevé (Gougou 2017b : 58), une différence importante à l’heure où les urnes sont de plus en plus grisonnantes (Haute & Tiberj 2022).

b • Résultats du second tour en 2015 et 2021

Des contrastes électoraux persistants

La région des Hauts-de-France est marquée par des contrastes électoraux qui traduisent non seulement des effets de notabilité, — comme en témoignent l’implantation du RN dans le bassin minier ou encore celle, plus ancienne, du PCF dans le valencienneois —, mais surtout des inégalités démographiques, économiques et sociales (Rivière et al. 2012). En effet, si la région concentre une population plus jeune, plus populaire et moins diplômée qu’à l’échelle nationale, elle n’en reste pas moins très hétérogène.
Ainsi, en 2021, deux dynamiques sociospatiales apparaissent structurantes des choix de vote. La première révèle une opposition entre, d’une part, les communes de l’ancien bassin minier — victimes de la désindustrialisation et du chômage de masse — où le RN et la gauche obtiennent des résultats supérieurs à leur moyennes régionales (Wadlow 2021) ; et, d’autre part, la majorité des communes rurales de la région, où la population, plus âgée, est moins confrontée à la précarité de l’emploi et où la droite obtient des résultats supérieurs à sa moyenne régionale (voir figure c, à gauche). La seconde, quant à elle, souligne l’opposition entre, d’une part, des espaces urbains — autour de Lille et d’Amiens notamment — qui, quoique très hétérogènes (Rivière et al. 2012), concentrent une population plus diplômée votant davantage au centre ou à gauche ; et, d’autre part, des territoires périphériques de relégation des classes populaires — notamment dans l’est de la région —, où les résultats de la droite et du RN sont supérieurs à leurs moyennes régionales (voir figure c, à droite).

Malgré l’évolution des scores des différents partis entre 2015 et 2021, la géographie de leurs résultats n’a été que peu modifiée, preuve que celle-ci dépend moins de la présence de tel ou tel candidat sur une liste que de logiques sociales et politiques de long terme. C’est le cas du vote en faveur de Bertrand (figure e, au centre). Pour le RN néanmoins, si les deux cartes sont très proches (figure e, à gauche), il parvient à limiter son recul dans les deux communes du bassin minier qu’il contrôle (Hénin-Beaumont depuis 2014 et Bruay-la-Bussière depuis 2020) (Wadlow 2021), mais pas dans les autres circonscriptions ou cantons conquis en 2015 et en 2017, preuve que l’impact électoral de son implantation locale dans ces territoires, s’il n’est pas négligeable, demeure très circonscrit. Enfin, pour l’union de la gauche et des écologistes (figure e, droite), ses résultats sont, en 2021, supérieurs à sa moyenne régionale à Lille (où elle obtient 52,4 % des voix) et dans sa périphérie, dans les quelques autres grandes villes de la région (Amiens, Dunkerque, Boulogne-sur-Mer…) ainsi que dans le bassin minier. Or, si ces tendances étaient déjà visibles en 2015 pour les listes du PS et d’EELV, elles ne l’étaient pas pour le PCF qui, en 2015, avait surtout suscité de la mobilisation dans ses bastions populaires du valenciennois et du bassin minier, des territoires dans lesquels le survote en faveur de la gauche n’est pas toujours observé en 2021. La liste d’union de la gauche et des écologistes semble dès lors avoir eu de grandes difficultés à mobiliser et à attirer vers elle les électeurs du PCF de 2015.

Conclusion et perspectives

Alors que certains partis et candidats envisageaient les élections régionales dans les Hauts-de-France comme une rampe de lancement en vue de l’élection présidentielle de 2022, force est de constater que les résultats du scrutin se sont révélés en deçà de leurs attentes. Ainsi, l’incapacité de la liste d’union de la gauche et des écologistes à impulser une dynamique de mobilisation n’a fait que confirmer la division de la gauche en vue de la présidentielle. De même, l’échec du RN, incapable de conquérir la région et surtout de remobiliser les électeurs qui s’étaient tournés vers lui en 2015, a participé à affaiblir la candidature de Le Pen, désormais concurrencée par Éric Zemmour (Reconquête). Enfin, si Bertrand a largement remporté le scrutin, sa victoire n’a pas enclenché de dynamique nationale permettant de dépasser la base électorale potentielle de la droite, socialement et politiquement rétrécie depuis 2017 (Desplaces et al. 2021). Ces perspectives contrariées sont à mettre en lien avec la très faible participation enregistrée lors de ce scrutin, celle-ci traduisant à nouveau la difficulté des partis et candidats à susciter de la mobilisation parmi les citoyens les plus à distance de la politique — du moins partisane —. Ce scrutin souligne aussi les « déséquilibres » politiques qu’engendre une démobilisation électorale massive, avantageant les partis et candidats (ici Bertrand) dont les électeurs potentiels sont les plus prédisposés à participer.

Références

Desplaces, P., Dorlencourt, J., Haute, T. & Neihouser, M. (2021, 26 décembre). Ce que l’analyse des sondages nous dit de la candidature avortée de Xavier Bertrand. The Conversation. En ligne.
Dolez, B. & Laurent, A. (2016). Nord-Picardie, tournant historique : victoire de Bertrand. Revue politique et parlementaire, 1078, pp. 119-138.
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Gougou, F. (2017b). Les électeurs de gauche. In Gougou, F. & Tiberj, V., La déconnexion électorale, Paris : Fondation Jean Jaurès, pp. 55-60.
Haute, T. & Tiberj, V. (2022). Extinction de vote ? Paris, Presses universitaires de France.
Haute, T. (2021, 23 juin). Abstention : au-delà de la crise sanitaire, les vraies raisons de la démobilisation. The Conversation. En ligne.
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Jaffré, J. (2021, juin). Participation régionale, adhésion vaccinale : même orientation. Note du Baromètre de la confiance politique, Sciences Po / CEVIPOF, vague 12bis.
Lefebvre, R. (2016). Les élections régionales en Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Une non-campagne ? Annuaire des Collectivités Locales, 36, pp. 93-109.
Mayer, N. (2017). Les électeurs du Front National, 2012-2015. In Gougou, F., Tiberj, V. (éd.), La déconnexion électorale. Paris : Fondation Jean Jaurès, pp. 68-77.
OpinionWay (2021). Sondage OpinionWay pour CNEWS sur les intentions de vote pour l’élection régionale dans les Hauts-de-France – Vague 3. En ligne.
Parodi, J.-L. (1983). Dans la logique des élections intermédiaires. Revue politique et parlementaire, 903, pp. 42-71.
Patinaux, L. (2022, 27 janvier). Éoliennes, la transition sans débat. Métropolitiques.
Rivière, J., Colange, C., Bussi, M., Cautrès, B., Freire-Diaz, S., Jadot, A. (2012). Des contrastes électoraux intra-régionaux aux clivages intra-urbains. Éléments sur le scrutin régional de 2010 dans le Nord-Pas de Calais. Territoire en mouvement, 16, pp. 3-17.
Sauger, N. (2017). Les électeurs de droite. In Gougou, F., Tiberj, V. (éd.), La déconnexion électorale. Paris : Fondation Jean Jaurès, pp. 60-67.
Wadlow, P. (2021, 7 novembre). Des terrils « bleu Marine » : quelle place pour le Rassemblement national dans le bassin minier ? The Conversation.
Ward, J. K., Alleaume, C. & Peretti-Watel, P. (2020). The French public’s attitudes to a future COVID-19 vaccine: The politicization of a public health issue. Social Science & Medicine, 265.

Notes

  1. Cet article n’aborde pas les élections départementales qui se sont également tenues les 20 et 27 juin 2021. Pour une analyse de ces élections dans le Nord et le Pas-de-Calais, les deux principaux départements des Hauts-de-France (4 des 6 millions d’habitants), voir Eliazord et Haute (2021).
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Tristan Haute, Marie Neihouser, Élections régionales en Hauts-de-France, 20-27 juin 2021, Groupe d'études géopolitiques, Mar 2022, 42-47.

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