Le climat pour répondre aux problèmes de l’Amérique
David Levaï
Fellow pour la politique climatique internationale et la diplomatie à la Fondation des Nations UniesIssue
Issue #1Auteurs
David Levaï21x29,7cm - 167 pages Numéro #1, Septembre 2021
La puissance écologique de la Chine : analyses, critiques, perspectives
À peine entré en fonction le 20 janvier dernier, le nouveau président américain, Joe Biden, a voulu affirmer que la réponse à la crise climatique sera l’une des priorités de son administration. Identifiée pendant sa campagne comme l’une des quatre crises 1 structurantes pour l’Amérique d’aujourd’hui et de demain, il en a fait le sujet de sa première prise de parole officielle. Dès le lendemain de l’élection présidentielle, alors que le résultat était encore incertain, le candidat démocrate avait dénoncé le retrait américain de l’Accord de Paris, devenu effectif ce 4 novembre, et promis un retour, mais sans fanfare, 77 jours plus tard. Cela fut accompli par sa première signature présidentielle le 20 janvier 2021 et rendu effectif le 19 février.
Au-delà du symbole, le retour des États-Unis dans l’Accord de Paris acte une relance de la coopération multilatérale sur le climat, laquelle avait souffert des tensions exacerbées par l’élection de Donald Trump il y a quatre ans. Saisir ce moment offrait l’opportunité d’une séquence politique durant laquelle l’Administration souhaitait démontrer à quel point elle arrivait préparée à conduire, tambour battant, le pays sur la route de la neutralité carbone: à travers les nominations successives, les prises de paroles des membres du gouvernement, la succession des instructions données aux multiples agences gouvernementales, l’équipe Biden entend montrer qu’elle est non seulement consciente de l’enjeu et des rapports de force, mais aussi qu’elle est préparée à relever le défi, tant au niveau international que national, afin d’apporter une réponse ambitieuse, à la hauteur des attentes. Il reste encore à savoir si le Président est prêt à y investir son capital politique.
À travers ce premier affichage et une avalanche de nouvelles promesses, les États-Unis font déjà un effort de rattrapage : la Chine avait en effet créé la surprise en annonçant en septembre 2020 son intention d’atteindre la neutralité carbone dès 2060, une décennie après l’Union européenne, alors que les États-Unis étaient encore dans un déni de réalité. À l’époque le candidat démocrate avait déjà affiché des intentions ambitieuses – rendre la production électrique neutre en carbone en 2035 et l’ensemble de son économie avant 2050 – s’inscrivant dans une trajectoire parallèle à celle de l’Union européenne, des intentions confirmées depuis par le nouveau Président dans une nouvelle contribution climat (NDC) 2 , élaborée en un temps record et jugée à la fois ambitieuse et réaliste, ainsi qu’un plan pluriannuel de financements internationaux publics 3 .
Ainsi, le 22 avril 2021, cinq ans, jour pour jour, après la signature de l’Accord de Paris à la tribune des nations unies à New York, devant le Président Hollande, et le Secrétaire général de l’époque, Ban Ki Moon, le nouveau président américain a voulu marquer les esprits en organisant le premier Sommet de Chefs d’états exclusivement dédié à la crise climatique. Parmi les quarante pays invités, on comptait les dix-sept premières puissances économiques du globe. Mais c’est vers Washington qu’étaient tournés les projecteurs. Joe Biden a présenté les nouveaux engagements américains à 2030 : la contribution nationale sera donc à la hauteur des attentes de la société civile puisqu’elle vise une réduction de 50 % à 52 % des émissions de GES par rapport à 2005. Une victoire pour les militants et un succès incontestable pour les États-Unis.
Le même jour, le nouveau plan de financements climat commandé par la Maison Blanche est dévoilé. Malgré une volonté politique affichée, dans un contexte politique peu propice aux financements internationaux, le contenu du plan déçoit : les montants annoncés – 5,7 milliards de dollars par an à l’horizon 2024 – sont bien loin des efforts nécessaires au rattrapage des leaders européens (Royaume-Uni, Allemagne, France) dont on estime qu’ils auront multiplié par quatre leurs financements en dix ans entre 2015 et 2025 4 . Quelle crédibilité accorder aux déclarations américaines si leurs élus sont incapables de mobiliser les moyens nécessaires ?
Aucun partenaire des États-Unis n’a en effet oublié les atermoiements des dernières décennies, et les nombreuses volte-face des Américains lors de l’alternance politique à Washington 5 . Si les velléités climatiques américaines rendent certains partenaires sceptiques, beaucoup veulent croire en la volonté politique du Président Biden. Le Congrès dont a besoin le Président pour légiférer est fortement divisé et même si une majorité d’Américains souhaitent davantage d’action fédérale pour le climat 6 , la question reste fortement polarisée 7 . Ainsi, dans ce contexte, comment Joe Biden peut-il convaincre que ses bonnes intentions seront durables et qu’il saura pérenniser une trajectoire vers la neutralité carbone, au-delà de son premier mandat ? C’est la question centrale à laquelle les démocrates vont devoir répondre rapidement s’ils entendent assurer un renouveau du leadership américain sur le climat : comment le placer durablement au cœur des préoccupations des Américains ?
Faire du climat le nouvel horizon de l’action publique
Joe Biden entend ancrer le climat dans les politiques américaines. C’est à travers le profil des décideurs politiques et un changement des processus de gouvernance qu’il espère pérenniser l’action climatique.
Certains commentateurs de la vie publique américaine se sont dits surpris par la mue verte du candidat Biden, radicalement centriste, en Président Biden, profondément progressiste. Chacun des multiples candidats démocrates à l’investiture suprême, durant la campagne des primaires (plus de 20), avait placé la crise climatique au centre de leur campagne – certains en ayant même fait la priorité absolue de toute action publique.
En effet, si l’angle climatique était absent de la campagne d’Hillary Clinton en 2016, il est devenu en quelques années la pierre angulaire de combats pour de nouveaux droits et davantage de justice sociale. Face au constant détricotage des réglementations environnementales de l’ère Trump 8 , l’action climatique est devenue un étendard du progressisme. La polarisation politique en a fait un marqueur fort pour le camp démocrate que l’ensemble de ses représentants a su embrasser, même le plus modéré d’entre eux, Joe Biden. Une fois les primaires achevées, les démocrates ont dû se rassembler et construire, au sein de la Unity Task Force, un programme de gouvernement susceptible d’emporter l’adhésion populaire 9 . Le climat en était l’axe premier et ce sont John Kerry (pour l’écurie Biden) et l’égérie progressiste, Alexandria Ocasio-Cortez (pour l’écurie Sanders) qui ont forgé une vision commune dans laquelle la lutte contre la crise climatique serait vecteur de davantage de justice sociale.
Durant leur passage dans l’opposition, les démocrates ont posé les bases d’une nouvelle approche : travailler activement au rapprochement des spécialistes de politique étrangère et de sécurité nationale avec la communauté climat. Cet effort assumé visait à pallier les limites de cohérence rencontrées par l’administration Obama : cette dernière, malgré son ambition climatique affichée en interne comme à l’international, a pourtant été celle de l’expansion des énergies fossiles aux États-Unis avec la révolution du gaz de schiste et celle qui aura fait la promotion du gaz américain, en Europe notamment, face à l’expansionnisme russe.
À travers un certain nombre d’initiatives, telles que celles menées par le National Security Action ou la United Nations Foundation, beaucoup des futurs éléments de l’équipe de politique étrangère de Joe Biden ont été formés aux enjeux climatiques, notamment ceux qui relèvent directement de leur expertise diplomatique ou sécuritaire. Désormais aux affaires, ces experts ont l’action climatique comme boussole, au même titre que la sécurité, le soft power ou les droits de l’homme.
Cette volonté systématique d’ancrer la crise climatique au cœur de chacune des politiques publiques s’est aussi incarnée à travers les nominations des cadres de l’Administration Biden et leurs premières décisions. Joe Biden avait été clair dès le premier jour : la question climatique nécessite une réponse transversale à tous les niveaux de l’action gouvernementale, de la politique étrangère à la politique commerciale, de la sécurité nationale à l’agriculture, du transport à la fiscalité. C’est ce que les Américains appellent « a whole-of-government approach ». Chacun des secteurs de l’économie américaine doit enclencher, accélérer ou approfondir sa transition, et l’État fédéral doit en être le catalyseur.
Ainsi chacun des principaux collaborateurs du président Biden, expert incontesté en son domaine, a une exposition et une sensibilité très forte sur les sujets climats, et est partisan d’une meilleure intégration au sein de son portefeuille. C’est bien naturel pour les postes qui relèvent traditionnellement du pilotage de l’action climatique : le choix de Michael Regan, pour prendre la tête de l’Agence de Protection de l’Environnement (EPA), lui qui occupait ce rôle au niveau de l’État de Caroline du Nord et s’est fait remarquer par son action en faveur des populations défavorisées, met l’accent sur les questions de justice et d’inégalités ; celui de Jennifer Granholm, ancienne gouverneure du Michigan, siège de l’industrie automobile, comme Secrétaire à l’énergie pour conduire la révolution du véhicule électrique ; ou celui de Debra Haaland, première ministre d’origine amérindienne, à la tête du Département de l’intérieur, responsable de la gestion des terres fédérales et leur préservation, confortent partisans et détracteurs dans l’idée que ces ministères tenteront de mener des politiques ambitieuses sur la transformation du réseau électrique, l’évolution du mix énergétique ou l’extraction des énergies fossiles. À la Maison Blanche, le président injecte une teinte plus verte, avec la création de deux postes d’envoyés spéciaux avec des équipes attenantes, siégeant au Cabinet – équivalent de notre Conseil des Ministres. Ce sont deux anciens ministres d’Obama, John Kerry (pour l’international) et Gina McCarthy (pour le national), à qui il incombe désormais de transformer les paroles présidentielles en actes.
Ce sont pourtant sur les dossiers qui ne relèvent pas directement du climat que la mue est la plus visible. On a ainsi pu noter des prises de paroles fermes, déterminées et sans équivoque sur la menace climatique et le rôle spécifique de chacune des branches du gouvernement. Le Secrétaire d’État Anthony Blinken, comme la Directrice du renseignement Avril Haines, l’ont affirmé lors de leurs auditions devant le Sénat, le climat sera une des priorités de politique étrangère et de sécurité nationale. Le Secrétaire à la Défense, le Général Lloyd Austin a lancé une revue interne afin de mieux prendre en compte les risques associés au climat, tant sur les infrastructures militaires et leur déploiement, que sur l’augmentation des menaces et des conflits. Jake Sullivan, Conseiller à la sécurité nationale, épaulé par Jon Finer, ancien directeur de cabinet du Secrétaire d’État John Kerry, l’avait affirmé le 12 décembre dernier, cinquième anniversaire de l’Accord de Paris: « la crise climatique est une crise pour la sécurité nationale des États-Unis ».
La Représentante pour le Commerce, l’Ambassadrice Tai, équivalente au Secrétaire d’État au commerce extérieur, considère que la politique commerciale américaine doit combattre le changement climatique et contribuer à la protection de la planète, et non l’inverse, ce qui suppose de mettre un terme à l’exportation des industries fossiles américaines, une véritable révolution. Janet Yellen, Secrétaire au Trésor, construit une équipe dédiée autour d’elle, une première au Trésor américain. La liste est longue et passe par Brian Deese, chantre de la finance verte devenu directeur du Conseil économique national (NEC), Pete Buttigieg, candidat malheureux aux primaires démocrates devenu ministre des transports, ou le directeur de cabinet de Biden lui-même, Ron Klain, depuis longtemps sensibilisés à la question climatique.
Durant les premières semaines, faute de ne pouvoir immédiatement afficher les résultats, la Maison Blanche a voulu démontrer son sérieux et son niveau de préparation en demandant à son administration et ses agences de préparer un certain nombre de revues des politiques en cours et de plans afin d’y intégrer plus efficacement les enjeux ou contraintes climatiques. Un décret présidentiel mandatait agences et ministères d’instruire la question et de formuler rapidement des propositions concrètes permettant d’intégrer le climat au coeur de sujets tels que la politique étrangère, la défense et la sécurité nationale, les financements à l’export, l’aide au développement mais aussi de donner mandat aux diverses branches du gouvernement américain d’utiliser les moyens à leur disposition, de l’octroi de permis aux contrats avec le gouvernement. Tous ces efforts sont placés sous la responsabilité d’une task force intergouvernementale, pilotée par Gina McCarthy, qui se réunit mensuellement et dont les travaux sont publics, et qui regroupe les patrons de vingt-et-une agences fédérales, du jamais-vu dans ce pays.
L’ensemble de ces nominations politiques dessine une vision cohérente où chaque décision et chaque instrument de politique publique devra intégrer la crise climatique afin d’y répondre et de tenter de l’endiguer. Lors du Sommet des Chefs d’État sur le climat, convoqué (virtuellement) par Joe Biden le 22 avril 2021, journée de la Terre, pas moins de dix-huit ministres ou membres éminents de l’administration ont pris la parole. L’objectif premier de ce déploiement de force était d’assurer les officiels étrangers de leur volonté politique et de la crédibilité de leurs engagements, notamment les plus cyniques pour qui les élections de mi-mandat de 2022 devraient mettre un terme aux velléités de l’Administration Biden. Il s’agissait également de rappeler aux Américains la dimension centrale de la question climatique et d’affirmer l’ambition transformatrice de la puissance publique. En transformant la structure et le fonctionnement de son Administration afin d’y ancrer la problématique climatique à tous les niveaux, Joe Biden entend bien pérenniser les efforts en cours au-delà du terme de son mandat, rendant tout retour en arrière difficile, même en cas d’alternance.
Le climat, socle de la réponse politique aux problèmes de la classe moyenne
Assurer la longévité des décisions politiques qui pavent la route de la neutralité carbone passe par la construction d’un solide consensus dans l’opinion publique. Ainsi, les choix effectués dans les années à venir en matière de production énergétique, de transport, d’aménagement du territoire, d’expansion urbaine, de pratiques agricoles ou industrielles devront être perçus par une majorité de la population comme étant bénéfiques pour l’Amérique et sa classe moyenne, plutôt qu’une nécessité pour la planète. Le pari de l’Administration Biden est de faire de l’action climatique l’axe majeur de la réponse aux problèmes qui touchent l’ensemble de l’Amérique et de ses concitoyens, un vecteur d’emploi et de croissance, mais aussi de justice sociale et raciale et d’équité. Trois grands axes ont été privilégiés : la justice environnementale, la transition juste et l’emploi.
Les dommages environnementaux ont tendance à toucher de façon discriminante les populations les plus défavorisées. Aux États-Unis, les minorités, et en particulier les noirs et les populations amérindiennes, sont victimes de pollutions locales endémiques de l’air et de l’eau depuis des générations. La justice environnementale entend corriger cela en portant un intérêt particulier au sort de ceux qui ont le plus souffert de ces dommages, ainsi qu’à la manière dont ils seront affectés par la réponse climatique. Et c’est donc à ce titre qu’une partie des voix progressistes rejette le principe du « pollueur-payeur » qui entendrait « cautionner » certaines pollutions à partir du moment où le pollueur peut s’affranchir de la facture finale, quels qu’en soient les coûts sociaux ou humains. Ainsi, aujourd’hui l’idée d’une taxe carbone n’a pas le vent en poupe chez les démocrates progressistes, même si certains admettent, comme AOC, qu’elle peut faire partie d’un éventail de solutions.
La transition vers la neutralité carbone suppose la transformation de l’ensemble des secteurs de l’économie, en particulier les secteurs de l’énergie ou de l’industrie. Leur reconversion aura un coût élevé en termes d’emploi et certaines régions des États-Unis – telles que la Virginie Occidentale et ses mines de charbon, ou l’Ohio et la Pennsylvanie et leurs puits de gaz de schiste – seront victimes de cette désindustrialisation. Assurer une transition juste entend limiter les effets néfastes de la transition en investissant massivement dans l’accompagnement et la reconversion de ces emplois. La vision sociale domine : ce n’est pas aux cols bleus de porter le coût de cette transition, mais bien à l’ensemble de la société puisque c’est le choix collectif.
Les deux axes que sont justice sociale et justice environnementale sont évidemment au centre du grand plan d’infrastructure présenté par l’Administration Biden et soumis au Congrès. Mais la Maison Blanche cherche à aller plus loin avec l’American Jobs Act, chiffré à plus de deux milliards de dollars, en faisant de la transition verte la réponse à la principale préoccupation des Américains : assurer des emplois de qualité, offrant des salaires décents. Ainsi sont mises au premier plan les opportunités qui existent à investir pleinement dans la transition bas-carbone. L’emploi, la croissance économique et l’innovation en seront les piliers.
C’est bien là tout l’enjeu pour Joe Biden : parvenir à démontrer en moins d’une mandature que la transition vers une économie sans carbone est le seul horizon possible pour les États-Unis et que c’est la voie qui apportera tout à la fois croissance des revenus et réduction des inégalités. C’est aussi la condition de la crédibilité des engagements pris. Les virages à 180° répétés par les administrations successives ces vingt dernières années ont démontré qu’il était nécessaire et urgent d’ancrer dans la loi tout progrès ou nouveaux objectifs afin d’éviter qu’il suffise d’un trait de crayon à la faveur d’une alternance, pour qu’un Président ne se dédise de la trajectoire fixée.
Chez certain grands émetteurs, notamment européens, la volonté de réduction des émissions de gaz à effet de serre et la détermination d’une trajectoire acceptable vers la neutralité carbone a donné lieu à de grands plans législatifs : Green Deal européen (2019/20); Climate Change Act britannique (2008) ; Loi française sur la transition énergétique et la croissance verte (2015) ; Loi allemande de 2019 sur la protection du climat qui vient d’être retoquée par la Cour Constitutionnelle pour manque d’ambition. Il ne faut pas attendre l’équivalent aux États-Unis, c’est-à-dire un grand plan « climat », couvrant l’ensemble des secteurs et fixant objectifs et échéances contraignants. Et pourtant, même s’il n’en porte pas le nom, l’action climatique est profondément ancrée au cœur du grand plan d’infrastructure qu’est l’American Jobs Act. Le glissement sémantique du climat aux infrastructures, puis à l’emploi offre une illustration de la stratégie des démocrates : offrir à travers l’action climatique une réponse aux problèmes de l’Amérique d’aujourd’hui et notamment de sa classe moyenne. L’approche climatique permettra de moderniser les infrastructures décrépies, de renforcer la fiabilité et la résilience du réseau électrique, de créer des millions d’emplois de qualité et décemment rémunérés, de retrouver le leadership en termes d’innovation, ou encore d’assurer des services publics de qualité.
Ce « Projet pour l’emploi américain » prévoit d’engager des montants considérables durant les huit années à venir, afin de faire basculer le système énergétique américain vers les énergies renouvelables pour atteindre la promesse d’une électricité entièrement décarbonée dans 15 ans. Cent milliards de dollars seront ainsi consacrés au renforcement du réseau électrique, à l’accélération de la production électrique à partir d’énergies renouvelables, ou à la reconversion d’emplois de l’industrie fossile pour supprimer les fuites de méthane émanant d’anciennes mines de charbon ou d’anciens puits de pétrole ou de gaz. Ce sont 174 milliards de dollars qui permettront la conversion du parc automobile aux véhicules électriques, à travers des soutiens à l’industrie automobile, le déploiement de 500 000 stations de charge, et la conversion de 20 % des bus scolaires (d’ici à 2030). Quant à l’efficacité énergétique qui fait tant défaut dans le bâti américain, 213 milliards de dollars supplémentaires seront mobilisés afin de construire ou de rénover plus de 2 millions de logements et bâtiments commerciaux. De plus, afin d’assurer la cohérence entre la dépense publique et l’objectif de décarbonation de l’économie, le plan Biden souhaite éliminer les niches fiscales et subventions dont bénéficient encore les industries fossiles.
Ainsi, ce vaste projet ne se contente pas seulement d’accroître la résilience des infrastructures américaines vieillissantes mais bien d’investir dans la main-d’œuvre. Depuis son entrée en fonction, Joe Biden ne martèle qu’un message : « Jobs, jobs, jobs » ! L’approche globale affichée par la Maison Blanche, déclinée de façon transversale dans chacune des agences publiques et chacun des ministères, vise à offrir des réponses concrètes aux préoccupations de la classe moyenne : assurer des emplois de qualité – c’est-à-dire des emplois durables, correctement rémunérés et protégés ou syndiqués – et réduire les inégalités tout en posant les bases d’une vision partagée d’un lendemain sans carbone. Démontrer ce lien permettrait au Président Biden de s’assurer du soutien d’une large majorité d’Américains et d’affirmer l’irréversibilité de la transition. Au-delà de l’ancrage législatif, c’est ainsi que Joe Biden souhaite indiquer au reste du monde le sérieux de sa démarche et la longévité des engagements américains, à travers un soutien populaire – comme l’ont connu les démocrates avec l’Affordable Care Act (le nom officiel de « l’Obamacare ») en son temps.
Conclusion
Dans une Amérique traumatisée par un niveau de chômage record l’an dernier, inconnu depuis la Grande Dépression, l’emploi est un thème fédérateur, l’étendard derrière lequel l’Amérique peut se rassembler, aidant à pérenniser l’action climatique. À l’instar de la Chine, choisir la voie de la neutralité carbone afin de satisfaire ses propres intérêts et d’assurer son leadership économique et commercial est un argument puissant pour rallier tous les pans de la société américaine.
Affirmer un leadership américain renouvelé sur le climat nécessite des actes au-delà des mots. La route est droite mais la pente est forte… et jonchée d’embûches. Le législateur risque fort de réviser à la baisse les ambitions transformatrices de l’exécutif et ses capacités d’action. Celui-ci pourra toujours compter sur le mouvement de fond de la société civile américaine, ces entreprises et ces collectivités qui prennent le chemin de la neutralité carbone. Si durant les années Trump elles ont contribué à l’évolution sensible de l’opinion, ces initiatives n’ont pas l’envergure nécessaire pour transformer l’économie américaine sans l’appui du pouvoir fédéral.
L’administration Biden a déjà démontré son sérieux et sa préparation. Consciente qu’il en faudra davantage pour convaincre ses partenaires internationaux de sa capacité à garder le cap au-delà des trois prochaines années, elle veut offrir une vision de l’Amérique qui dépasse les clivages politiques, faisant de la neutralité carbone un horizon infranchissable.
Notes
- Avec la pandémie, la crise économique et le racisme systémique.
- The United State of America, Nationnaly Determined Contribution, « Reducting Greenhouse Gases in the United States: A 2030 Emission Target », 2021.
- The White House, U.S. International Climate Finance Plan, 2021.
- M. Igoe, « Biden announces US will double climate finance by 2024 », Devex, 2021.
- L’administration Clinton a négocié l’Accord de Kyoto en 1997, mais les États-Unis ne l’ont jamais ratifie. L’Amérique s’est détournée du multilatéralisme climatique pendant les années Bush (2001-2008) avant d’y revenir sous Obama (2009-2016) et de signer l’Accord de Paris. D. Trump décide d’en sortir en juin 2017. J. Biden réintègre l’Accord de Paris en février 2021.
- D’après une Étude du Pew Research Center réalisée fin 2019, 2/3 des Américains considèrent que l’État fédéral en fait trop peu pour lutter contre les effets du changement climatique. C. Funk, B. Kennedy, « How Americans see climate change and the environment in 7 charts », Pew Research Center, 2020.
- Entre 2013 et 2020 le pourcentage d’Américains considèrent le changement climatique comme une menace est passé de 40 % à 60 %. Mais l’évolution a surtout eu lieu chez les démocrates passant de 58 % a 88 % alors que la proportion chez les républicains est passée de 22 % a 31 %.
- Plus d’une centaine de règlementations environnementales ont été supprimé par l’Administration Trump – notamment des standards d’émissions de CO2 des véhicules, sur les émissions de méthane de l’industrie pétrolière, ou les gaz HFC, issus de la réfrigération.
- Biden-Sanders Unity Task Force Recommendations, « Combating The Climate Crisis and Pursuing Environmental Justice », 2020.
citer l'article
David Levaï, Le climat pour répondre aux problèmes de l’Amérique, Groupe d'études géopolitiques, Sep 2021, 47-51.