Géopolitique, Réseau, Énergie, Environnement, Nature

Issue

Issue #1

Auteurs

Mathilde Teissonnière

21x29,7cm - 167 pages Numéro #1, Septembre 2021

La puissance écologique de la Chine : analyses, critiques, perspectives

Le programme nucléaire chinois figure parmi les derniers nés des grands programmes nucléaires civils. En quarante ans, la Chine est parvenue à acquérir une maturité suffisante pour développer ses propres technologies nucléaires et se positionner sur le marché international. Son développement s’est construit suivant le principe désormais bien connu et redouté « importation, digestion, sinisation et innovation ». Aujourd’hui troisième puissance nucléaire civile en termes de capacité installée avec 51 GWe, le pays devrait se hisser dans la décennie qui vient à la première place du classement devant les États-Unis et la France.

La longue marche du nucléaire chinois

Le programme nucléaire chinois démarre dans les années 1950, initialement à des fins militaires et avec l’aide de l’URSS. Malgré un refroidissement des relations entre les deux régimes communistes, le projet est lancé et aboutit au premier essai de bombe atomique le 16 octobre 1964. Ce n’est qu’après la Révolution culturelle, en 1982, que la Chine décide la construction d’une première petite centrale nucléaire civile de 300 MWe sur le site de Qinshan (province du Zhejiang), équipée d’un réacteur à eau pressurisée (REP).

La Chine investit d’abord dans des technologies étrangères, que le pays copie puis s’approprie pour monter en gamme. La France apparait à cette époque comme un partenaire fort de la Chine. Dès 1982, le Ministère chinois de l’industrie nucléaire (MIN) et le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), signent « l’accord de coopération dans le domaine de l’utilisation pacifique de l’énergie atomique ». En 1983, un mémorandum de coopération électronucléaire est signé ; ce dernier prévoit la construction de plusieurs réacteurs de technologie française de 900 MW, et stipule une clause de transfert technologique vers la Chine 1 . D’autres pays apportent également leurs technologies comme le Canada avec son réacteur CANDU (centrale nucléaire de Qinshan III, raccordée en 2003) et la Russie avec le VVER (deux réacteurs à la centrale de Tianwan mis en service en 2006-2007). Lors de la construction de la centrale de Daya Bay (deux réacteurs mis en service en 1993-1994), la technologie française est choisie comme modèle pour la filière chinoise des réacteurs de génération 2. La technologie de l’îlot nucléaire de Daya Bay (REP trois boucles, 900 MW) et la technologie de fabrication du combustible de Framatome (AFA-2G puis AFA-3G) serviront de base pour les réacteurs chinois CPR1000, dont seize unités sont en service actuellement.

Au total entre 1991 et 2003, huit réacteurs sont construits dont quatre en partenariat avec les entreprises françaises 2 .

L’énergie nucléaire atteint sa maturité

Il faut attendre l’impulsion du président Hu Jintao et de son premier ministre Wen Jiabao en 2003 pour que le pays se mette réellement à investir dans la technologie nucléaire. La Chine lance un appel d’offre en 2004 pour établir le nouveau standard de génération 3 de son parc électronucléaire. Son choix se porte sur l’AP1000 de l’américain Westinghouse dont la construction des quatre premiers réacteurs démarre en 2009-2010 sur les sites de Sanmen et Haiyang. A la même période, l’EPR français est choisi pour les projets des tranches 1 et 2 de Taishan. Grâce à une politique de localisation et à des transferts de technologies, une partie des composants de l’AP1000 et de l’EPR est produite sur place. La dépendance du pays envers des technologies étrangères s’amoindrit tout au long des années 2000, avec une montée en gamme de la qualité de ses équipements et une maîtrise des savoir-faire. Aujourd’hui, la Chine maîtrise l’ensemble de la chaine logistique industrielle de fabrication des différentes parties d’une centrale 3 .

Fortes de ces avancées, les autorités chinoises décident de s’orienter vers un modèle de réacteur domestique. La China National Nuclear Corporation (CNNC) et la China General Nuclear Power Corporation (CGN), les deux entreprises étatiques majeures de l’industrie nucléaire chinoise, en profitent pour développer et mettre aux normes leurs modèles, respectivement l’ACP1000+ et l’ACPR1000+, eux-mêmes dérivés du réacteur M310 français de Daya Bay.

Après l’accident de Fukushima en 2011, la Chine met son programme nucléaire en pause. Le Conseil d’État suspend les autorisations de nouvelles centrales et déclare désormais que seuls des réacteurs de troisième génération peuvent être construits. Tous les nouveaux projets doivent correspondre à des normes de sûreté plus exigeantes, avec notamment une double sûreté des réacteurs, passive et active. Pour y satisfaire, en 2014 le gouvernement demande à CGN et CNNC de faire converger leurs deux modèles de réacteurs en une technologie unifiée, sous la marque Hualong One. Les premiers projets de ces réacteurs sont approuvés et la construction des tranches de Fuqing 5&6 pour CNNC et Fangchenggang 3&4 pour CGN commence en 2015 4 .

Figure 1 • Profil d’âge du parc nucléaire 5

Avec quarante-neuf réacteurs en service actuellement, le nucléaire représente 4,9 % du mix électrique chinois. Si la part du nucléaire semble faible, il est important de la replacer dans son contexte. La Chine est le premier producteur d’électricité au monde. Selon les données de l’Agence internationale de l’énergie, en 2019 la production d’électricité en France était de 537,7 TWh, contre 7140 TWh pour la Chine la même année. L’électricité produite uniquement par l’énergie nucléaire en Chine représentait donc environ 65 % de la production totale d’électricité française en 2019.

Contrairement à la France dont le mix électrique est composé à 70 % de nucléaire, la Chine n’a pas choisi d’en faire sa ressource principale. Le pays ayant un important accès au charbon, ressource abondante et peu coûteuse, il n’a pas eu dans la décennie précédente de véritable incitation à évoluer vers une énergie plus propre. L’enjeu du changement climatique pousse désormais la Chine à entamer sa transition en diversifiant son mix énergétique avec les énergies solaire et éolienne, dont le prix à considérablement baissé ces dernières années. Malgré la part toujours prépondérante du charbon dans le mix électrique (environ 60 %), les objectifs annoncés par Xi Jinping d’atteindre le pic des émissions de CO2 en 2030 et la neutralité carbone en 2060 6 assurent à l’énergie nucléaire une place pérenne dans le mix électrique chinois futur.

Le 14ème plan quinquennal (2021-2025) 7 dévoilé en mars 2021 prévoit pour le nucléaire une puissance installée en service de 70 GW d’ici 2025. 19 GW supplémentaires doivent donc être connectés au réseau, soit environ la construction de quatre réacteurs par an sur les cinq prochaines années. Malgré la mise à l’arrêt des projets de centrales à l’intérieur des terres en bord de rivières, la Chine ne fait pas un pari risqué : le pays compte déjà douze unités en construction, plus de la moitié des réacteurs dont elle a besoin pour atteindre son objectif.

Perspectives : L’industrie nucléaire chinoise en quête d’autonomie et d’internationalisation

Au cours de la tenue des deux Assemblées en mars 2021, l’énergie nucléaire a été désignée comme un outil indispensable pour construire « un système énergétique moderne » 8 où les centrales de troisième ou quatrième générations auront un rôle à jouer dans le domaine électrique et au-delà (production de chaleur urbaine, d’hydrogène..).

Pour atteindre ses objectifs, la Chine souhaite fermer son cycle nucléaire et maîtriser l’ensemble de son industrie. Elle assure d’une part son approvisionnement en uranium par le rachat de mines en Afrique, et la production de son combustible dans ses usines de Mongolie Intérieure et du Sichuan ; d’autre part, elle crée des sites de stockage de déchets à faible radioactivité, et souhaite investir dans une usine de retraitement. Les autorités chinoises se tournent à nouveau vers la France, cette fois-ci pour recycler uranium et plutonium dans des combustibles mixtes (appelés MOX), grâce à une infrastructure sur le modèle de l’usine MELOX d’Orano à Marcoule 9 .

Afin de conforter la place de l’énergie nucléaire dans un cadre légal et gérer de manière assurée une politique répondant aux besoins du pays, deux lois sont en préparation. La première sur l’énergie atomique est primordiale pour cadrer et promouvoir le développement de l’énergie nucléaire. La deuxième loi en préparation, « Le règlement sur la gestion du combustible nucléaire usé », s’inscrit dans l’objectif de la fermeture du cycle et du traitement « efficace et ordonné » 10 du combustible usé.

Un budget important est alloué à la maîtrise de l’aval du cycle, ainsi qu’à la recherche sur les réacteurs de quatrième génération. Les réacteurs à neutrons rapides (RNR), les small modular reactors (SMR) et les réacteurs à fusion sont autant de projets de recherche dans lesquels la Chine investit à grande échelle. Aujourd’hui on dénombre huit projets de SMR, dont cinq sont particulièrement avancés 11 . En plus d’assurer une production électrique dans des lieux isolés, la Chine voit dans cette technologie une manière d’exporter ces petits réacteurs dans des pays primo-arrivants sur le marché du nucléaire civil.

Figure 2 • Localisation des centrales nucléaires chinoises

La Chine ne perd toutefois pas de vue les avantages des réacteurs de plus grande puissance. Le Hualong domestique a fini par s’imposer comme la technologie de référence des réacteurs nucléaires chinois. Avec seize Hualong One en construction ou en projet dans le pays (d’une puissance allant de 1080 à 1200 MWe), et deux autres en construction au Pakistan, la Chine devrait bénéficier d’un effet de série lui permettant de réduire encore un peu le coût de son réacteur 100 % chinois. Elle a d’ailleurs réussi la prouesse de construire son premier réacteur de troisième génération en soixante-huit mois seulement (entre le premier béton et la mise en service commerciale en janvier 2021). Pour profiter de ces effets, le pays cherche à exporter son modèle. Malgré un premier contrat avec le Pakistan pour deux tranches à la centrale nucléaire de Karachi (dont la première devrait entrer en service fin avril 2021), la Chine peine à internationaliser son réacteur. Jusqu’à présent, le Hualong a également été proposé en République Tchèque, en Pologne, au Kenya et en Argentine, mais sans succès.

Le projet de construction d’un Hualong-1 sur le site de Bradwell au Royaume-Uni pourrait lui apporter la crédibilité qu’elle recherche 12 . Le Hualong-1 doit en premier lieu obtenir le Generic Design Assessment (GDA), la certification délivrée par l’autorité britannique de sûreté nucléaire. La National Nuclear Safety Administration (NNSA), l’organe chinois en charge de la sûreté nucléaire, collabore en effet avec les autres organismes de sûreté des grands pays du nucléaire ; c’est le cas avec la Nuclear Regulatory Commission aux États-Unis ou l’Agence de Sûreté Nucléaire (ASN) en France.

La Chine est également un membre actif de l’Agence Internationale de Energie Atomique (AIEA), qui édicte des normes communes aux acteurs du nucléaire. La délivrance de la certification GDA pour le Hualong-1 puis la construction d’un de ces réacteurs 100 % chinois serait un gage de crédibilité très important pour la Chine et lui permettrait de s’imposer comme une puissance nucléaire à l’export aux côtés de la Russie, de la Corée, de la France ou des États-Unis.

Notes

  1. P. Y. Cordier, « Historique de la coopération franco-chinoise », La Revue Générale Nucléaire, n°5, septembre-octobre 2017.
  2. PRIS, Power Reactor Information System (site web), IAEA.
  3. La Revue de l’Énergie, n° 624, mars-avril 2015.
  4. « China successfully develops first Hualong One nuclear reactor », China Daily, novembre 2017.
  5. Source : IEA, 2019.
  6. Discours de Xi Jinping à l’ONU le 22 septembre 2020.
  7. 14ème Plan quinquennal, Tsinghua university, 2021.
  8. Interview de G. Jun, directeur général de la CNNC et secrétaire du groupe de direction du parti pour le site d’information chinois Toutiao : « 两会核声丨 顾军:中核集团将为碳达峰碳中和目标提供有力支撑 », Toutiao, mars 2021.
  9. S. Huet, « Nucléaire : les ambitions chinoises », {Sciences²}, Le Monde, juin 2019.
  10. Ibid.
  11. Advances in Small Modular Reactor Technology Developments. A Supplement to IAEA Advanced Reactors Information System (ARIS) 2020 Edition, International Atomic Energy Agency, septembre 2020
  12. « Le Hualong-1 franchit une nouvelle étape au Royaume-Uni », Revue Générale du Nucléaire, janvier 2019.
+--
voir le planfermer
citer l'article +--

citer l'article

APA

Mathilde Teissonnière, Le nucléaire civil en Chine, Groupe d'études géopolitiques, Sep 2021, 86-89.

à lire dans ce numéro +--

à lire dans cette issue

voir toute la revuearrow
notes et sources +