Revue Européenne du Droit
L’Europe Puissance Citoyenne
Issue #3
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Issue #3

Auteurs

Alberto Alemanno , Kalypso Nicolaïdis

La Revue européenne du droit, décembre 2021, n°3

Le même week-end de décembre 2021, deux événements ont abordé simultanément et de façon radicalement différente le dilemme de notre époque. Tous deux ont été organisés par les représentants de « l’Occident », l’un par les États-Unis de Biden, l’autre par l’Union européenne (l’« UE »). Tous deux ont été présentés comme le point de départ d’un processus de renouveau démocratique en interne et au-delà, en réponse à la profonde fatigue démocratique ressentie dans le monde entier. Le premier, le « Sommet pour la démocratie », a réuni plus de 100 États pour lancer « une année d’action […] pour rendre les démocraties plus réactives et plus résistantes, et pour construire une communauté plus large de partenaires engagés dans le renouveau démocratique mondial ». Le second, la Conférence sur l’avenir de l’Europe, a réuni à Florence 200 citoyens européens, choisis au hasard, pour produire une liste de recommandations adressées aux dirigeants politiques de l’UE sur la manière d’améliorer la démocratie européenne 1 . Alors que le premier événement, étatocentré, s’est déroulé dans le cadre du paradigme westphalien traditionnel, le second a cherché à inverser ce même paradigme en plaçant les citoyens au centre des relations transnationales. Pourtant, alors que le sommet dirigé par les États-Unis a été abondamment commenté, l’assemblée citoyenne européenne a bénéficié d’une couverture médiatique très limitée en dépit de sa nature transformationnelle et originale 2

Certes, le premier sommet a été rythmé par le genre de drames politiques que les médias adorent couvrir, surtout lorsqu’il s’agit de savoir quel pays devrait être exclu mais a été invité (Brésil), quel pays a été exclu mais aurait dû être présent (Singapour), quel pays a été exclu mais s’attendait à être présent (Hongrie), ou encore lorsque la Chine affirme avoir été injustement exclue alors qu’elle est une démocratie « qui fonctionne ». Et on ne peut écarter que ce sommet annonce le genre de renouveau dont la démocratie américaine a tant besoin 3 . Néanmoins, nous pensons que c’est l’événement européen qui pourrait rester dans les livres d’histoire comme le début d’un processus qui valorise la création d’écosystèmes démocratiques centrés sur le citoyen, habités par des processus participatifs augmentant le sentiment d’efficacité des participants en politique, tout en abordant les questions les plus difficiles de notre époque.

Nous admettons ici notre partialité : en tant qu’observateurs experts, nous avons trouvé l’énergie délibérative de l’assemblée citoyenne européenne qui s’est réunie à Florence contagieuse et inspirante. L’UE n’a jamais vraiment réussi à mobiliser un tel public non-expert au-delà des frontières pour discuter de son propre avenir. Les précédentes réformes institutionnelles étaient la chasse gardée des gouvernements nationaux et les dialogues citoyens passés ressemblaient davantage à des exercices de relations publiques qu’à des délibérations, avec des discours de commissaires européens prêchant des convertis. Dans ce contexte, la Conférence sur l’avenir de l’Europe, centrée sur les citoyens, est apparue comme une évolution saine et quelque peu contre-intuitive, surtout à une époque où l’érosion démocratique mondiale touche également l’Union de l’intérieur 4 . En effet, si elles sont adoptées, de nombreuses recommandations des citoyens qui émergent déjà de la Conférence pourraient potentiellement changer la donne en ce qui concerne la qualité démocratique de l’UE, en appelant à des développements qui sont préfigurés mais non ancrés dans les pratiques actuelles de l’UE : subordonner le versement des fonds de l’UE au respect du pluralisme des médias et de l’État de droit par ses États membres, rendre les élections du Parlement européen plus « européennes » par la création d’une compétition électorale paneuropéenne – au lieu de 27 compétitions parallèles –, mandater les radiodiffuseurs publics pour mieux couvrir les développements de l’UE et organiser des référendums à l’échelle de l’UE 5 . Même si cette première série de recommandations citoyennes n’a généralement pas été rédigée dans un langage proprement juridique  et qu’elle doit encore être affinée par les délibérations de la plénière de la Conférence sur l’avenir de l’Europe – composée de manière inédite par des citoyens et des représentants politiques –, elle constitue un message clair et urgent : puisons dans notre intelligence collective et notre imagination démocratique pour construire une sphère publique paneuropéenne en renforçant les connexions mutuelles, la connaissance et la responsabilisation des citoyens par-delà les frontières.

Bien sûr, ce processus a été semé d’embûches. Par exemple, les panels citoyens n’ont pas réussi à inclure autant qu’on l’aurait espéré les groupes marginalisés en Europe, des résidents sans passeport européen aux minorités ethno-raciales 6 . En outre, il se peut que les personnes qui ont répondu « oui » à un appel téléphonique leur demandant de participer à un exercice organisé par l’UE aient un penchant pro-UE. La méthodologie choisie pour réaliser la sélection aléatoire peut donc être améliorée pour prendre en compte des facteurs non seulement socio-économiques mais aussi d’attitude politique. Les observateurs ont également noté l’inégale qualité délibérative des discussions au sein des différents sous panels de citoyens et entre ses membres, l’absence de débat contradictoire ou de présentation de compromis difficiles, et le fait que l’ensemble du processus de la Conférence sur l’avenir de l’Europe ait manqué de transparence, y compris sur la manière dont ses recommandations seront traitées 7 . En outre, certains rapports fondamentaux  ne sont pas clarifiés dans ce processus – dans quelle mesure les institutions de l’Union ainsi que ses leaders ont-ils raison de chercher à gérer aussi étroitement ces processus menés par les citoyens ? Qu’est-ce qu’une relation saine et non déférente entre les citoyens et les soi-disant experts ? ou encore, entre ces experts et les fonctionnaires européens dans l’encadrement des débats 8  ?

Ce sont toutes des questions importantes, dont beaucoup sont familières au monde des assemblées délibératives – généralement qualifiées de « mini-publics » – organisées et étudiées dans le monde entier depuis de nombreuses années. Néanmoins, nous entrons en territoire inconnu avec cet exercice ci, transnational, pan-continental et multilingue. Il s’agit sans doute d’un événement parrainé par l’UE, cependant la méthodologie de base utilisée par le consortium d’animateurs expérimentés qui le dirige répond à des pratiques participatives délibératives bien établies 9 . Comme nous le soutenons depuis le début de ce processus, le « moment Conférence sur l’avenir de l’Europe » doit être apprécié et vécu comme une macro-expérimentation et, en tant que telle, il permettra de tirer des leçons de ses imperfections comme de ses forces. En fait, il s’agit d’une expérimentation puissance-trois – celle de l’assemblée citoyenne en tant que telle, qui se tient au sein de l’expérimentation plus large qu’est la Conférence sur l’avenir de l’Europe, elle-même au sein de l’expérimentation plus large qu’est l’Union européenne.

Nous avançons partant que les recommandations finales qui émergeront de la Conférence au printemps prochain seront davantage le produit de la véritable expérience transnationale acquise par les participants à la Conférence que le résultat inévitable d’une initiative parrainée par l’UE. D’ores et déjà, les résultats du panel sur la démocratie et l’État de droit montrent qu’une fois qu’ils ont eu l’occasion de réfléchir à leur expérience personnelle du projet européen avec leurs pairs d’autres pays, les citoyens sélectionnés aléatoirement n’ont pas hésité à reconnaître la nature imparfaite de l’Union et à demander une Europe plus intelligible, plus réactive et plus responsable 10 . En fin de compte, demander à être mieux informé sur ce que les dirigeants nationaux décident à Bruxelles et sur la manière dont ils le font, ou appeler à plus de débats publics paneuropéens n’est pas l’apanage des voix pro-européennes, mais plutôt un prérequis pour contribuer à la vie démocratique de l’Union, ou à celle de toute autre communauté démocratique digne de ce nom. 

En tant que tels, les panels de citoyens de la conférence ont le potentiel de contribuer à libérer le projet européen de  cette « polarisation affective » grandissante qui nous emprisonne entre deux camps pro-UE et anti-UE – chacun devenu identitaire et plus seulement idéologique – en donnant ainsi la parole à la majorité silencieuse des citoyens de l’UE n’appartenant à aucun de ces deux camps 11 . En effet, une analyse approfondie de l’opinion publique dans l’UE montre que même parmi ceux qui se décrivent comme « eurosceptiques », beaucoup prônent plus la réforme de l’UE que la sortie de leur pays 12 . En d’autres termes, il s’agit d’eurosceptiques transformateurs plutôt qu’existentiels 13 . Plus généralement, une pluralité de citoyens européens semble vouloir à la fois plus d’UE lorsqu’on considère ce que l’Union fait ou devrait faire, et moins d’UE lorsqu’on considère la manière dont elle le fait, à savoir ils semblent espérer une approche plus décentralisée de la gestion de notre interdépendance 14 . Pour simplifier, de nombreux Européens sont intégrationnistes sur le quoi et souverainistes sur le comment. Et cela peut s’expliquer par le fait que, si l’on gratte sous la surface, on constate que la plupart d’entre nous, avant de tomber sous le pouvoir de séduction de cette polarisation affective ont tendance à être ambivalents quant à l’ idée de souveraineté partagée 15 . Les Européens, comme les citoyens du monde entier, apprécient à la fois la coopération avec leurs voisins et le contrôle de leur vie. Et en fait, l’une des grandes vertus des assemblées délibératives est qu’elles ont le potentiel d’attirer les citoyens hors de leurs bulles polarisées et de leurs tribus politiques dans un espace où il est possible, et même valorisé, d’exploiter cette ambivalence sous-jacente – bien que cet impact dépende fortement du contexte, en particulier compte tenu de l’importance de la présence pour la politique démocratique 16 . Les citoyens qui se sont rencontrés à Florence n’ont pas fait figure d’exception à cette histoire d’ambivalence constructive.

De ce point de vue, la Conférence sur l’avenir de l’Europe peut être considérée comme l’ultime terrain d’essai du concept normatif de démocratie délibérative d’Habermas dans un contexte transnational 17 . Au cours des dernières décennies, le philosophe allemand a insisté sur la nécessité de construire un espace transnational de délibération pour porter l’idée de démocratie supranationale de l’UE 18 . Il est vrai qu’il a peut-être trop insisté sur ce que la délibération peut accomplir dans notre politique agonistique et sur ce qu’elle doit accomplir dans des contextes où le conflit est juste et approprié et doit être géré plutôt que surmonté. Après tout, le pouvoir du débat, du dialogue et de la persuasion ne peut pas toujours transcender les profondes différences d’intérêts et de pouvoir entre les parties en présence. Il peut même être absorbé, et donc annulé, par le fonctionnement consensuel de la « politique ordinaire ». Le risque d’un « dialogue illusoire », en tant qu’instrument qui prévient plutôt qu’il ne favorise l’expression de dissensions menant à un changement politique, ne peut être exclu 19 . Pourtant, la délibération a un rôle essentiel à jouer en tant que pilier central d’un écosystème démocratique en Europe. 

Tout cela peut paraître banale aux représentants nationaux et européens qui réfléchissent à la fois à leur pratique quotidienne et aux exercices passés de réforme des traités. En effet, la dernière convention d’une ambition similaire qui s’est tenue il y a vingt ans et qui a abouti, malgré le « non » français et néerlandais au traité constitutionnel, au traité de Lisbonne a clairement illustré la dynamique de la négociation à l’ombre de la rhétorique 20 . Mais ces représentants et les gouvernements qu’ils soutiennent ou auxquels ils s’opposent reconnaissent que l’exercice reste notoirement connu pour son incapacité à faire véritablement descendre la délibération, un échec qui a mené aux rejets lors des référendums français et néerlandais de 2005. D’une certaine manière, la Convention sur l’avenir de l’Europe d’aujourd’hui peut être considéré comme une expiation démocratique bien retardée, post-crise de l’euro 21 .

Peut-on espérer que cela est ce que cette Conférence s’efforce d’offrir ? Son architecture participative établit, bien que sur une base ad hoc, un espace transnational de délibération sans lequel ni les citoyens ni les représentants élus ne seraient exposés – et ne prêteraient attention – aux points de vue exprimés dans d’autres parties de l’Union. On peut donc considérer qu’il fournit un nouvel écosystème démocratique expérimental qui pourrait permettre – par la création d’une structure d’opportunité de nature temporaire – aux acteurs institutionnels et aux citoyens d’obtenir une exposition sans précédent, et donc enrichissante, aux préférences transnationales « du bas » 22 . Même si la sensibilisation des médias et du grand public reste insuffisante, la conversation pan-européenne de citoyen à citoyen qui s’ensuivra pourrait potentiellement leur faire prendre conscience de l’histoire, des contributions, des inquiétudes et des aspirations des autres, approfondissant ainsi les compréhensions mutuelles qui sont si essentielles au développement d’un sentiment d’autodétermination ouverte. Ce seul fait pourrait modifier la dynamique politique des négociations interétatiques par le biais de nouvelles méthodes, ce qui pourrait à son tour reconfigurer le débat politique et, plus largement, le débat public dans toute l’Union 23 . Comme l’affirme Hauke Brunkhorst dans sa théorie critique des révolutions juridiques, une fois que des procédures démocratiques sont mises en place, même si elles viennent d’en haut, elles peuvent « riposter » car les citoyens peuvent les invoquer pour demander un changement 24 .

Alors qu’une grande partie du débat académique naissant autour de la Conférence se concentre sur la relation entre les institutions responsables de sa gestion et les citoyens, les initiatives que les organisations de la société civile – des syndicats aux organisations promouvant la place des femmes, en passant par les personnes handicapées, les communautés religieuses ou culturelles, les autres minorités, les mouvements ou associations de base, les groupes de réflexion et les universités –développent autour de la Conférence pourraient se révéler tout aussi importantes, voire plus, pour la consolidation d’un écosystème démocratique sur le continent européen 25 . Il pourrait s’agir de se rendre aux quatre coins du continent pour faciliter – voire amplifier – le débat public, faire de la « pédagogie constitutionnelle » en illustrant les subtilités et l’importance du processus, rassembler et mobiliser l’opinion publique, organiser des réunions et des conférences, faire des recherches, diffuser des idées, les défendre et faire pression, le tout dans plusieurs langues. L’activation de la société civile et l’attention parallèle des médias qui s’ensuit sont essentielles pour atteindre le niveau d’attention du public nécessaire au type de délibération requis pour générer le niveau de légitimité recherchée par la conférence et faire en sorte que ses résultats tiennent 26

Pour illustrer cet espoir ainsi que notre argument, nous nous tournons vers trois grandes idées ((I) la participation politique au-delà du vote ; (II) un espace public transnational et inclusif ; (III) un panoptique démocratique pour une plus grande responsabilité), qui, selon nous, sont au cœur de l’écosystème européen renouvelé que nous appelons de nos vœux. De manière assez prometteuse, ces idées sont déjà présentes dans la première série de recommandations citoyennes issues de la Conférence 27 .

I. Participation au-delà du vote : le cas d’une Assemblée des citoyens européens

« Nous recommandons que l’Union européenne organise des Assemblées de Citoyens. Nous recommandons vivement qu’elles soient développées par le biais d’une loi ou d’un règlement juridiquement contraignant et obligatoire. Les assemblées de citoyens devraient se tenir tous les 12 à 18 mois. La participation des citoyens ne devrait pas être obligatoire mais incitative, tout en étant organisée sur la base de mandats limités. Les participants doivent être sélectionnés de manière aléatoire, avec des critères de représentativité, et ne doivent pas représenter une quelconque organisation, ni être appelés à participer en raison de leur rôle professionnel en tant que membres de l’assemblée. Si nécessaire, des experts apporteront leur soutien afin que les membres de l’assemblée disposent de suffisamment d’informations pour délibérer. La prise de décision sera entre les mains des citoyens. L’UE doit garantir l’engagement des politiciens envers les décisions prises par les citoyens dans les assemblées de citoyens. Si les propositions des citoyens sont ignorées ou explicitement rejetées, les institutions de l’UE doivent en rendre compte, en justifiant les raisons pour lesquelles cette décision a été prise ». (Recommandation 42, ECP2, Conférence sur l’avenir de l’Europe) 28 .

Est-ce un hasard si la proposition la plus importante parmi les 42 recommandations initiales issues du panel de citoyens porte le numéro 42 (!), la « réponse à la grande question sur la vie, l’univers et le reste » proposée par Douglas Adams dans son Guide du routard galactique ? Nous aimons penser qu’il y avait de la magie dans l’air ce jour-là. En tant qu’observateurs in loco, nous l’avons tous deux ressentie 29 . Il se peut qu’en ce lieu même, les leçons résonnent encore des déboires de la République de Florence qui, pendant trois cents ans, jusqu’aux années 1500, a mené l’une des plus grandes expériences de souveraineté populaire de l’histoire de l’Europe. Dans ce cas, les conseils de gouvernement ont réintroduit le type de sélection aléatoire (par tirage au sort, la tratta) qui avait eu lieu dans l’Athènes antique pour presque toutes les fonctions gouvernementales deux mille ans plus tôt, tenant compte du jugement d’Aristote selon lequel « il est considéré comme démocratique que les magistratures soient attribuées par le sort et comme oligarchique qu’elles soient électives » 30 . Certes, s’ils avaient suivi les conseils sur la démocratie radicale prodigués par le plus illustre diplomate de leur ville, Nicolas Machiavel, les Florentins auraient institutionnalisé plus complètement leur méfiance à l’égard de leurs dirigeants et étendu le contrôle des assemblées populaires à l’ensemble de leurs affaires publiques, en contraignant rigoureusement le comportement des élites politiques et économiques par une série de moyens non électoraux, afin de les confronter aux injustices souvent causées par leurs décisions 31

Mais, bien entendu, les citoyens présents dans la salle située dans la Florence du 21ème siècle n’avaient pas besoin de remonter à la Renaissance quand ils pouvaient puiser à une source encore plus inspirante : leur propre expérience, certes limitée, dans laquelle ils sont venus puiser de plus en plus au fil des procédures. Ce faisant, ils sont devenus les auteurs de leur histoire délibérative, se donnant le droit de commander un suivi continu, pour finalement intégrer le mini-public délibératif dans le processus décisionnel quotidien de l’UE. Car qu’est-ce que la démocratie si ce n’est d’abord et avant tout un état d’esprit, où les gens ordinaires se débarrassent de l’autorité des princes, des papes ou des experts, pour s’imaginer comme les auteurs de leur propre destin partagé 32 ?

Il est clair que la proposition 42 reflète l’intuition fondamentale des citoyens tirés au sort et réunis au sein du panel 2, à savoir que la « représentation » ne s’obtient pas seulement par des scrutins électoraux 33 . Les assemblées dont les membres sont sélectionnés par tirage au sort peuvent souvent refléter la société dans son ensemble plus fidèlement que la plupart des assemblées parlementaires de nos jours. En effet, le tirage au sort inverse l’équation de la représentation parlementaire : chaque parlementaire représente effectivement la circonscription qui les a élus, mais tous se réunissent dans des parlements très imparfaitement représentatifs, tandis que les individus tirés au sort ne « représentent » qu’eux-mêmes, mais se réunissent dans des assemblées globalement plus représentatives. Nous n’avons pas à nous prononcer sur lequel des faisceaux de logiques représentatives individuelles/collectives est le plus démocratiquement légitime, mais simplement à reconnaître les différentes légitimités représentatives en présence.

Certes, les anciens n’avaient pas de concept d’« échantillon statistiquement représentatif », et ils n’en avaient d’ailleurs pas besoin car leurs assemblées par tirage au sort se déployait à une échelle beaucoup plus réduite où chaque citoyen avait de fortes chances d’alterner entre le statut de « gouverné » et celui de « dirigeant » au cours de sa vie. Mais avec l’avènement de l’échelle nationale et, en Europe, transnationale, c’est à cette notion statistique de la représentation que nous devons faire face aujourd’hui 34 .

Dans une telle perspective, les questions d’inclusivité, telles que discutées précédemment, sont essentielles et requièrent non seulement un ensemble de critères économiques, de genre ou d’éducation – comme cette assemblée elle-même a été conçue – mais une attention particulière portée au type d’incitations, ou encore de ressources, offertes aux participants potentiels afin de s’assurer que les individus issus des groupes les plus marginalisés de la société se trouvent en mesure de participer – un jardin d’enfants pour les mères célibataires, un congé payé pour les employés. Il s’agissait d’une exigence évidente pour les citoyens dits « ordinaires » qui ont rédigé la proposition 42.

Il convient également de noter qu’ils ont jugé important d’insister sur la limitation des mandats. Après tout, la sortitio (le tirage au sort des représentants politiques), aujourd’hui comme à d’autres époques, vise à libérer les citoyens du type de règles arbitraires qui sont trop souvent l’apanage des titulaires de fonctions publiques professionnels : de l’influence enivrante du pouvoir que Machiavel craignait tant. Même si les « princes » ou les « élites » (politiques, économiques, bureaucratiques) sont essentiels au fonctionnement de l’administration politique, pensait Machiavel, ils risquent de devenir une classe sociale différente, avec des intérêts différents de ceux du peuple, et donc de ne plus être capables de servir l’intérêt public 35 . En bref, si les assemblées de citoyens doivent rester en phase avec les sociétés qu’elles sont censées refléter, leurs membres n’ont pas intérêt à devenir des « politiciens » professionnels, même pour un temps.

En demandant l’engagement des politiciens à rendre des comptes, les citoyens invoquent sagement le « droit à la justification » cher aux théoriciens de la démocratie. Ils ne sont pas assez fous pour croire que ces propositions seront ou même devraient être automatiquement prises en compte par les gouvernements et l’appareil d’État. Mais au moins, elles devraient être prises au sérieux, débattues et honorées par des arguments pour et contre.

La proposition 42 ne vient pas de nulle part mais son ambition n’est pas non plus commune. Alors que les processus délibératifs se répandent dans ce qui a récemment été défini comme une « vague délibérative » 36 , ils ont tendance à être temporaires par nature – étant principalement des exercices ad hoc et typiquement des expériences « one-shot » – qui ne restent pas 37 . Par rapport à d’autres innovations démocratiques, comme le budget participatif 38 , l’institutionnalisation des assemblées délibératives est l’exception, et non la norme 39 . Par conséquent, la question de savoir s’il faut les institutionnaliser – et comment le faire – reste non seulement sous-théorisée mais aussi pratiquement non traitée, et cela malgré le nombre croissant d’appels à cet objectif, d’autant plus dans le contexte de l’UE 40 . Pourtant, la transformation de projets ad hoc à une structure légalement constituée et disponible sur demande est une démarche lourde de conséquences 41 . En particulier, l’incorporation de la sortitio (tirage à sort), qui est inhérente à tout modèle d’assemblée délibérative – qu’il s’agisse d’un panel de citoyens ou d’un jury – devrait modifier l’architecture du système de démocratie représentative dans l’Union, en forçant une réflexion sur le rôle et la nature de la représentation et sa relation avec les processus délibératifs 42 . Cela semble d’autant plus vrai et complexe dans le contexte de gouvernance transnationale, multiniveau et multilingue de l’UE, où l’institutionnalisation soulève une série de questions spécifiques au contexte liées au cadre juridique, tant constitutionnel qu’institutionnel de l’Union, ainsi qu’à son modèle démocratique. Les questions vont de l’impact des assemblées citoyennes sur le principe juridique de l’équilibre institutionnel de l’Union (qui régit les relations entre ses institutions) à sa relation avec les canaux participatifs existants, tels que le droit de pétition ou l’initiative citoyenne européenne (ICE) – un mécanisme par lequel (1 million) de citoyens peuvent demander à la Commission européenne de proposer de nouvelles lois 43 . Nous pouvons notamment craindre que les élites européennes se tournent vers l’idée d’une Assemblée citoyenne permanente comme alternative moins dérangeante à la démocratie directe, dans l’espoir que les concessions faites à la démocratie délibérative puissent écarter les appels à davantage de démocratie directe, d’ICE ou de référendums nationaux dans le contexte européen. 

Une grande partie de la réponse à ces questions dépend du modèle choisi de mini-public, qui est à son tour défini par un grand nombre de variables, notamment son champ d’application (objectif général ou objectif spécifique ?), ses prérogatives (possibilité de déterminer les questions à traiter ou tout simplement émettre un avis sur des questions préétablies ?), le moment du cycle politique où il est intégré (au niveau de préparation, de codécision,  ou encore évaluation d’une initiative européenne ?), sa composition (uniquement composée de citoyens ou hybride, en mélangent les citoyens choisis avec des représentants politiques ?) et son autorité ultime (conseil ou prise de décision ?). Inévitablement, la question récurrente qui se pose lorsque la perspective de l’institutionnalisation se présente est celle de savoir si les processus délibératifs remplaceraient les anciennes institutions ou s’ils ajouteraient simplement de nouvelles institutions et procédures. Sur la base des expériences passées, la méthode de l’« ajout » semble la plus probable. Puisqu’aucune expérience d’institutionnalisation au niveau local ou national n’a conduit à la suppression d’institutions existantes pour laisser place à des formats délibératifs, il n’y a aucune raison pour que cela ne soit pas vrai pour l’UE 44 . Cependant, l’approche « par ajout » n’exclut pas la possibilité qu’un mini-public pourrait remplacer les secondes chambres nationales caractérisée par leur nature élitiste, qu’il s’agisse d’un Sénat ou d’une Chambre des Lords. Reste à savoir quel serait l’équivalent dans le contexte de l’UE, étant donné sa structure unique à deux têtes, législative (Conseil et Parlement) et exécutive (Conseil et Commission). On pourrait imaginer, par exemple, qu’une assemblée de citoyens européens reprenne certaines des fonctions de fixation de l’agenda politique ou même des fonctions législatives des deux chambres, tout en laissant intacte une structure institutionnelle qui a bien servi l’UE depuis sa création.

Dans le débat contemporain, l’institutionnalisation de la participation publique par le biais de formats délibératifs est privilégiée par certains et redoutée par d’autres. Les partisans de l’institutionnalisation soutiennent que l’implication permanente des citoyens peut améliorer la qualité des processus participatifs et accroître les possibilités d’exercer une influence réelle sur la prise de décision, rendant ainsi le système politique plus réactif et efficace 45 . Dans le contexte de l’UE, ses partisans soutiennent qu’un tel nouvel outil démocratique européen réduirait la distance par rapport à la « bulle européenne » ressentie par les citoyens de l’UE et aiderait à tirer parti de l’intelligence collective de la société civile formelle et informelle pour prévoir les questions émergentes et aborder les compromis difficiles entre gagnants et perdants, le court et le long terme ou les préoccupations rurales et urbaines 46 . De telles dynamiques, si elles sont visibles et font l’objet d’une large appropriation, pourraient servir de « pédagogie démocratique » pour repousser l’idée qu’il existe des réponses faciles « à l’extérieur », remettant ainsi en question le livre de jeu populiste. 

Les opposants à une telle institutionnalisation craignent au contraire que les panels de citoyens n’usurpent ce qui devrait être la fonction propre des gouvernements et des parlements représentatifs élus. Cependant ce risque ne semble pas être immédiatement pertinent pour l’UE dans la mesure où elle ne dispose pas du type de système de gouvernement généralement accepté, légitime, représentatif et démocratique classiques 47 . Les opposants s’inquiètent également du risque qu’elles puissent, au mieux, étouffer la spontanéité existante dans la débat sociétal et, au pire, faire taire les dissidents, en offrant des possibilités de manipuler les participants, les processus et les résultats 48 . Ils craignent ceux qui espèrent utiliser les assemblées de citoyens et les processus participatifs pour des raisons plus instrumentales, les politiciens qui choisissent leur réforme favorite tout en cochant la « case citoyens ». Pourtant, l’institutionnalisation pourrait être « une condition nécessaire pour réduire l’arbitraire des manœuvres des politiciens visant à mettre en œuvre des dispositifs participatifs uniquement lorsque cela leur convient », et contribuer finalement à faire des valeurs délibératives une composante « normale » de la vie politique ordinaire des citoyens, comme le sont les élections 49 . En définitive, la question de savoir si l’institutionnalisation des formats délibératifs conduit à un renforcement ou à une stérilisation de la participation, étant de nature empirique, reste ouverte.

II. Un espace public transnational et inclusif

Tout en saluant la généralisation de la vague délibérative dans l’UE, ce serait faire preuve d’un solutionnisme politique naïf que de s’attendre à ce que cette initiative ad hoc, même si elle sera institutionnalisée, puisse à elle seule résoudre le malaise démocratique de l’UE. Il n’y a pas de solution miracle à son déficit démocratique. Aucune innovation démocratique – et les assemblées de citoyens ne font pas exception – ne portera ses fruits si elle n’est pas intégrée en amont dans un écosystème plus large, qui donne aux citoyens les moyens d’être les acteurs de leur destin. Il n’est peut-être pas surprenant, mais il est néanmoins intéressant de noter que les recommandations des citoyens réunis à Florence donnent de la couleur et des contours à ce que pourraient être ces conditions de possibilité. Nous les classons en trois grandes catégories.

Premièrement, il y a bien sûr d’importantes discussions à avoir sur ce qui se passe au centre, dans l’arène de l’Union traditionnelle au niveau supranational. Alors que c’est là que les citoyens sont le plus facilement influencés par les experts et les politiciens, ils répercutent la nécessité d’une européanisation de la compétition politique électorale pour le Parlement européen recommandant d’« harmoniser les conditions électorales (âge du droit de vote, date des élections, exigences relatives aux circonscriptions électorales, aux candidats, aux partis politiques et à leur financement) » et « le droit de voter pour différents partis au niveau de l’Union européenne qui sont chacun composés de candidats de plusieurs États membres… » (18). Dans le même esprit paneuropéen, ils peuvent voir la nécessité d’« un référendum à l’échelle de l’UE dans des cas exceptionnels sur des questions extrêmement importantes pour tous les citoyens européens… » (20). En ce qui concerne les procédures de prise de décision entre leurs États, ils émettent une recommandation vaguement formulée selon laquelle le système de vote devrait être réévalué « en se concentrant sur la question du vote à l’unanimité » … mais avec un poids des voix « calculé de manière équitable, afin que les intérêts des petits pays soient protégés » (22). On retrouve ici l’éternelle nécessité d’équilibrer l’un et le multiple dans une union fédérale comme l’UE sans que celle-ci devienne un État fédéral.

Deuxièmement, nous constatons que les citoyens semblent beaucoup plus intéressés par ce que nous pouvons considérer comme les conditions de la création d’un habitus démocratique européen, grâce à une plus grande intelligibilité, un meilleur accès et une meilleure éducation à la vie démocratique de l’Union. En effet, les citoyens gravitent naturellement autour de la vieille idée d’une sphère publique véritablement transnationale et paneuropéenne, tout en faisant preuve d’un sens des compromis et des équilibres 50 . Ainsi, ils souhaitent une information plus abondante, claire et multilingue pour couvrir les affaires européennes, tout en respectant « la liberté et l’indépendance des médias » (recommandation 33), la protection des données pour les mineurs et des politiques de confidentialité conviviales (9 et 10) tout en poursuivant la « compétence médiatique » pour les citoyens (5 et 33). Ils appellent à « utiliser un langage plus accessible », « évitant d’utiliser des termes bureaucratiques dans leurs communications », tout en « maintenant la qualité et l’expertise des informations données… » (35). Ils souhaitent que « l’éducation à la démocratie dans l’Union européenne […] permette d’atteindre une norme minimale de connaissances dans tous les États membres », mais qu’elle soit « enrichie par un ensemble de concepts différents […] qui devraient être attrayants et adaptés à l’âge » (26). In ne s’agit donc pas là seulement de vœux pieux.

Nous notons également l’importance pour ces citoyens de créer et maintenir des liens horizontaux entre eux par-delà les frontières, même s’ils interagissent avec l’UE, en recommandant que l’UE « crée un fonds spécial pour les interactions en ligne et hors ligne (c’est-à-dire les programmes d’échanges, les panels, les réunions, etc. (29), « d’augmenter la fréquence des interactions en ligne et hors ligne entre l’UE et ses citoyens » (31), « de créer et de promouvoir des forums multilingues en ligne et des réunions hors ligne où les citoyens eux-mêmes « peuvent lancer des discussions » (34) ou « une plateforme numérique multifonctionnelle où les citoyens peuvent voter sur des élections et des sondages en ligne » tout en partageant « les raisons de leur vote » (21). Et surtout, disent-ils, « les technologies de traduction existantes et émergentes, telles que l’intelligence artificielle, sont développées, améliorées et rendues plus accessibles afin de réduire les barrières linguistiques et de renforcer l’identité commune et la démocratie dans l’Union européenne » (27). Il est en effet temps que l’UE mette davantage de ressources au service de son essence en tant que « communauté de la traduction », comme commencent à le démontrer les impressionnantes infrastructures technologiques qui alimentent la traduction au sein de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, ses panels de citoyens et sa plateforme numérique. C’est l’ambition horizontale qui convient à une « démoi-cratie » 51 .

Troisièmement, conformément à la vieille intuition tocquevillienne selon laquelle la convergence des conditions socio-économiques et de la justice économique est une « condition de possibilité » fondamentale de la démocratie, les citoyens ont exprimé une préoccupation sous-jacente pour un système socio-économique inclusif, recommandant « que l’UE fournisse des critères d’anti-discrimination sur le marché du travail (quotas pour les jeunes, les personnes âgées, les femmes, les minorités). Si les entreprises remplissent ces critères, elles bénéficient de subventions ou d’allégements fiscaux » (1). Ou bien ils souhaitent que l’UE fournisse « un ensemble d’indicateurs économiques et d’indicateurs de qualité de vie, pour tous les États membres, avec les mêmes opportunités et avec tout le monde au même niveau pour atteindre une structure économique commune » (24). Cet appel à l’inclusivité s’étend à des préoccupations globales pour le long terme, notamment l’équité intergénérationnelle (41), les pertes de biodiversité et la protection des droits des animaux (4,6 et 7). 

Le point commun entre ces recommandations citoyennes nous semble résider dans l’attente que l’UE aille au-delà d’une compréhension formelle du principe d’égalité politique 52 , en adoptant plutôt une interprétation substantielle de celui-ci exigeant la conception et la pratique de politiques participatives capables d’atténuer les disparités de pouvoir 53 . Alors que l’égalité formelle se concentre exclusivement sur l’égalité des individus, en étant passive et statique vis-à-vis du contexte dans lequel ils agissent 54 , l’égalité substantielle évalue ce contexte afin de redresser les désavantages existants, de renforcer la voix des moins forts ou d’accommoder les différences et, en fin de compte, de réaliser un changement sociétal structurel 55 . Le lien entre l’égalité politique, voire économique, et la démocratie est bien établi dans la théorie politique, la participation se développant à partir de la « logique de l’égalité » 56 . En effet, l’inclusion économique et politique ne peuvent être séparée, notamment à l’ère du capitalisme numérique 57 . Pour être pleinement démocratiques, les décisions politiques doivent être le résultat d’une procédure dans laquelle chaque citoyen a une chance égale d’avoir son mot à dire 58 , que ce soit par le biais du processus électoral (par le biais de représentants élus), du processus politique, ou encore d’autres contributions non électorales telles que les consultations publiques, mais aussi des structures de pouvoir opérées par les entreprises 59 . Bien sûr, cet ensemble de recommandations peut sembler n’être qu’un ensemble de vœux pieux, mais si elles sont débattues au-delà des frontières nationales, elles peuvent s’imposer aux législateurs de l’UE. En fait, contrairement à leurs dirigeants politiques, les citoyens ne semblent pas effrayés par la perspective de rouvrir la discussion sur « … une constitution européenne informée par les citoyens de l’UE » qui « afin d’éviter tout conflit avec les États membres, devrait donner la priorité à l’inclusion des valeurs des droits de l’homme et de la démocratie » (38). Mais rassurons-nous quand même : la plupart de ce qui peut être accompli pour renforcer l’écosystème démocratique de l’UE peut l’être à traité constant.

III. Un panoptique démocratique pour une plus grande responsabilité 

Le troisième élément démocratique du triptyque que nous proposons peut être considéré à la fois comme un apport et comme une expression du pouvoir participatif des citoyens, à savoir l’idée que l’autodétermination démocratique commence par la responsabilisation du pouvoir. Ce troisième fondement du renouveau démocratique dans l’UE est en fait une vieille idée, réadaptée à l’ère numérique, à savoir ce que les théoriciens de la démocratie Keane et Rosanvallon appellent respectivement la « démocratie monitoire » ou « contre-démocratie », reflétant la préoccupation républicaine pour l’éducation civique et la sphère publique comme espace où cette éducation peut être déployée 60 . En d’autres termes, il s’agit de la lutte pour « le droit de savoir » et « le droit de savoir comment savoir ». Les assemblées de citoyens ont clairement plus de sens en tant que résultat et déclencheur d’instruments de vigilance populaire beaucoup plus larges, une panoplie de moyens pour mobiliser l’intelligence collective au-delà des élites traditionnelles. 

Pour faire comprendre la force de cette vieille idée, invoquons et subvertissons le panoptique de Bentham, le bâtiment imaginé par le philosophe du 19ème siècle où un seul gardien debout au milieu de cellules circulaires ne peut pas les observer toutes en même temps mais les contrôle néanmoins toutes, car les détenus ne peuvent savoir quand ils sont surveillés 61 . Et si, demandons-nous, nous pouvions imaginer le pouvoir collectif des citoyens à la place du gardien unique ? Après tout, qui peut être un meilleur gardien de nos libertés démocratiques que nous-mêmes ? En renversant la connotation du panoptique, nous pouvons mieux transmettre le pouvoir subversif de la transparence et de la responsabilité que les citoyens de Florence semblaient tant souhaiter.

« Nous recommandons que des observateurs citoyens indépendants soient présents lors de tous les processus décisionnels de l’UE. Il devrait y avoir un forum ou un organe permanent de représentants des citoyens afin de remplir la fonction de diffusion d’informations pertinentes et importantes à tous les citoyens de l’UE en tant que citoyens européens définis. Ces citoyens s’engageraient avec tous les autres citoyens européens dans l’esprit d’une connexion descendante/ascendante, ce qui permettrait de développer davantage le dialogue entre les citoyens et les institutions de l’UE » (34). 

Ces citoyens choisis au hasard – et leur recommandation – incarnent en fait la tension entre les deux logiques qui composent le panoptique démocratique. La logique de la permanence insiste sur le fait que le consentement des gouvernés ne se limite pas à des élections ou des référendums périodiques – il s’agit d’un contrôle et d’un engagement permanents. La logique de l’intermittence, quant à elle, reflète simplement le sens commun selon lequel ni les organisations de la société civile ni les citoyens individuels n’ont la capacité d’exercer un tel contrôle de façon permanente. Pour réconcilier ces deux logiques, il faut que les détenteurs du pouvoir fassent confiance à une épistémè sociale, où les connaissances ne sont pas seulement partagées mais où l’on sait qu’elles sont partagées, créant ainsi un écosystème qui alimente la capacité et le désir de participer et de contribuer à exercer un réel contrôle populaire. En même temps, ces gouvernants doivent apprendre à vivre avec l’incertitude radicale du regard démocratique. En bref, l’idée de panoptique démocratique permet de résoudre les deux aspects de l’énigme de la participation. Notre nouvelle ère démocratique appelle à une participation citoyenne permanente, oui, mais seulement par certaines personnes, certaines fois, sur certaines questions. Permanente dans son effet, intermittente dans sa pratique. Pour modifier notre scénario démocratique, il faut trouver des moyens de faire de la participation un habitus civique : une culture de citoyens qui s’engagent dans les formes de pouvoir politique qui envahissent nos vies 62

Pour Bentham, la beauté de sa vision résidait dans la crainte, et non dans le fait, d’être observé. Dans le panoptique démocratique, les décideurs, comme les détenus de Bentham, sont effectivement contraints d’adapter leur propre comportement en partant du principe que les citoyens pourraient les observer, leur pouvoir étant à la fois visible et invérifiable. Ceux qui gouvernent ne savent jamais s’ils sont surveillés, ce qui les maintient sur le qui-vive, les incitant à agir comme s’ils étaient surveillés en permanence. La publicité prend la place de la surveillance, une façon de garder les gardiens, et le contrôle social devient un contrôle par la société, et non de la société. Oubliez la révolution permanente, vive la participation permanente ! 

Cet état d’esprit s’est souvent manifesté dans l’appel des assemblées citoyennes à exploiter le pouvoir de l’internet pour exercer ce contrôle, en appelant à la création de plateformes de vérification des faits (19), au vote sur des sondages en ligne (21), tout en demandant aux institutions d’adapter leur communication à l’ère des médias numériques (21). Plus important encore, leur discussion a abordé la question du pouvoir démocratique du contrôle budgétaire, dans la mesure où nous passons de « pas de taxation sans représentation » à « pas de taxation sans participation ». Ainsi, les citoyens ont complété leur appel à l’investissement dans la qualité de vie des Européens par des idées de responsabilité radicale pour les dépenses budgétaires, notant « la nécessité d’assurer la supervision, la transparence et la communication efficace envers les citoyens dans la mise en œuvre des investissements publics (de la part de l’UE) » et « de permettre aux citoyens de suivre l’ensemble du processus d’investissement » 63 . À l’heure où le fonds du Plan de Relance Européen canalise des milliards d’euros de l’UE vers les différents États membres, la mise en place d’un système de responsabilité plus systématique, non seulement pour les résultats mais aussi pour les déboursements monétaires réels, serait bénéfique à l’ambition de l’UE de créer un écosystème démocratique renouvelé.

Conclusion 

L’UE se distingue dans le paysage des expériences démocratiques, non pas parce qu’elle est plus avancée dans ses méthodes participatives, mais parce qu’elle espère les faire passer du niveau infranational ou national au niveau transnational et les diffuser au sein et à travers l’Union. En tant que principal laboratoire de la gouvernance transnationale, l’Union a vu ses références démocratiques remises en question, en particulier depuis la fin de la guerre froide et, plus récemment, la crise de l’euro 64 . En réponse, elle a plongé ses antennes bureaucratiques dans diverses formes d’engagement, des dialogues informels de citoyens à l’initiative citoyenne européenne. Mais aucune n’a changé sa réputation d’opacité bureaucratique 65 . Le Brexit n’a été qu’une expression parmi d’autres du mécontentement populaire qui en découle 66 .

Si les classes politiques et l’appareil bureaucratique de l’UE se montraient à la hauteur du défi, ils pourraient prétendre offrir une réponse au message délivré par le président Biden de l’autre côté de l’Atlantique, à savoir que le modèle démocratique développé en Occident au cours des 200 dernières années semble brisé, qu’il a besoin de toute urgence de soins attentifs, que les citoyens ont été envoûtés par le désenchantement démocratique, le sentiment que le système électoral est truqué, manipulé par l’argent, les élites, les lobbies d’entreprises ou les étrangers, et qu’entre les élections, ils n’ont aucun accès, aucune influence et aucune appropriation de la prise de décision publique.

Pourtant, contrairement au discours d’ouverture du sommet prononcé par le président Biden, l’histoire n’est pas celle d’un concours de beauté entre systèmes démocratiques et autocratiques, comme une géopolitique grossière de la démocratie voudrait nous le faire croire. Dans la mesure où les citoyens se soucient non seulement des résultats démocratiques, mais aussi de l’équité procédurale et substantielle, en particulier lorsqu’ils n’obtiennent pas ce qu’ils veulent et risquent de canaliser leurs frustrations en dehors du système si elles ne sont pas prises en compte, nous devons aborder ces questions d’équité démocratique de toute urgence 67 . Comme l’a illustré de manière frappante le panel de citoyens européens qui s’est penché sur la question démocratique et de l’état de droit, le fait que les citoyens soient mécontents des démocraties existantes ne signifie pas qu’ils aient perdu leur appétit pour les processus démocratiques. La mise en garde d’Aristote est ancienne : les démocraties souffrent de tendances destructrices auto-infligées 68 . Cela est vrai aussi bien en Europe qu’ailleurs, et la démocratie au niveau européen amplifie ces pathologies. En même temps, l’Europe a le potentiel de les surmonter précisément parce qu’elle n’est pas attachée aux modèles représentatifs traditionnels. Cela ne signifie pas que l’UE doive être considérée comme un modèle de démocratie au-delà de l’État. En effet, elle a beaucoup à apprendre en inversant le regard démocratique et en s’engageant dans un apprentissage démocratique mutuel avec le reste du monde 69 .

Nous n’avons pas non plus soutenu que les panels de citoyens organisés dans le cadre de la Conférence sur l’avenir de l’Europe constituent un modèle en soi. Beaucoup de choses pourraient être améliorées, à commencer par la surcharge de sujets et le manque de temps pour aborder un éventail aussi large de questions. Mais nous adhérons à un principe de réalité : en substance, il ne fait aucun doute que ce processus n’aurait pas été possible sans le feu vert et la sur-ingénierie des trois institutions de l’UE. En effet, nous pouvons déplorer la coexistence paradoxale entre le type de « risque démocratique » que ces institutions ont pris en permettant un tel bond en avant démocratique, et le type de contrôle étroit qu’elles ont cherché à exercer sur ledit processus. Nous devons nous méfier de l’instrumentalisation inévitable de par ceux qui choisiront et interpréteront leurs  recommandations préférées.

Mais ces écueils, à notre avis, font partie intégrante de l’incertitude radicale que le progrès démocratique peut insuffler au projet européen, une incertitude qui est l’essence même de la démocratie et avec laquelle la « bulle européenne » doit apprendre à vivre. Si l’UE doit retrouver sa popularité écornée auprès des publics européens, nous devons construire un écosystème démocratique européen pour nourrir, élargir et finalement prendre en compte les revendications quotidiennes concurrentes des citoyens européens. Le temps est venu pour les États membres de l’UE et ses institutions de rendre aux citoyens une partie du pouvoir constituant qui a traditionnellement été exercé en leur nom. La leçon à tirer des assemblées de citoyens transnationales naissantes qui continueront à se réunir ce printemps sous l’égide de l’UE est que, dans les bonnes conditions, les citoyens sont prêts à récupérer ce pouvoir et, ce faisant, à fonder une nouvelle Europe Puissance Citoyenne sur la scène mondiale.

Notes

  1.  A. Alemanno, J. Mackay, N. Milanese et K. Nicolaïdis, ‘What’s in an Experiment? Opportunities and Risks for the Conference on the Future of Europe’, EUI, STG Policy Papers ISSUE 2021/16 septembre 2021; J. Mackay and K.Nicolaidis, « What’s in an Experiment ? Participatory Democracy comes to Town » La Repubblica, décembre 2021 
  2.  Au total, quatre panels de citoyens européens ont été composés au sein de la Conférence. Notre analyse se concentre sur le panel numéro 2 sur la démocratie et l’État de droit. 
  3.  Pour une récente et audacieuse définition de cet agenda, voir A.M. Slaughter, Renewal: From Crisis to Transformation in Our Lives, Work, and Politics (Vol. 26), Princeton University Press, 2021.
  4.  Voir par exemple R. D. Kelemen et M. Blauberger, ‘Introducing the debate: European Union safeguards against member states’ democratic backsliding’ (2017) 24(3) Journal of European Public Policy, 317-320: <https://www.theguardian.com/us-news/2021/nov/22/us-list-backsliding-democracies-civil-liberties-international>.
  5.  Recommandations du panel de citoyens sur la démocratie, l’État de droit et la sécurité : <https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/IP_21_6840>.
  6.  Comme l’a fait valoir Niccolò Milanese, au nom de dizaines d’organisations de la société civile, « l’inclusion de citoyens et de résidents de l’UE représentatifs de la diversité de sa population est la première étape nécessaire vers un dialogue public qui non seulement trouve un écho auprès de la majorité, mais contribue également à (re)connecter la population avec ses institutions européennes ». Voir ‘Open letter to Executive Board : civil society organisations call for Conference to include marginalised communities’, 18 juin 2021, menée par Citizens Take Over Europe et co-signée par 62 autres organisations de la société civile : <https://citizenstakeover.eu/>
  7.  Pour un exemple des questions difficiles impliquant des points de vue et des intérêts contradictoires que la Conférence sur l’avenir de l’Europe devrait aborder, voir ‘EUI Democracy Forum : some difficult questions for deliberation’ : https://docs.google.com/document/d/1f7Vq3nGbCzYj9Gp2AgYB6xiE-AND22Yo42X3j9Za3EA/edit. Voir également L. Galante et K. Nicolaïdis, ‘Whatever it takes ? Ten principles to bring the Conference on the Future of Europe closer to its citizens’, Blog de l’EUI sur la démocratie transnationale, 11 novembre 2021 : https://blogs.eui.eu/transnational-democracy/whatever-it-takes-ten-principles-to-bring-the-conference-on-the-future-of-europe-closer-to-its-citizens/  
  8. Disclaimer : les auteurs sont intervenus en tant qu’experts à l’occasion de la 2ème session du Panel de Citoyens Européen et en tant qu’observateurs experts lors de la 3ème et dernière session.
  9.  La littérature sur la propagation des mini-publics dans la politique et la gouvernance contemporaines est abondante. Voir, par exemple, N. Curato, J.S. Dryzek, S.A. Ercan, C.M. Hendriks et S. Niemeyer ‘Twelve key findings in deliberative democracy research’ (2017) Daedalus, 146(3), 28-38 ; S. Elstub et O. Escobar, ‘A Typology of Democratic Innovations’ in S. Elstub et O. Escobar (eds.), Handbook of Democratic Innovation and Governance (Edward Elgar Publishing 2019).
  10.  Recommandations du panel de citoyens sur la démocratie, l’État de droit et la sécurité : <https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/IP_21_6840>.
  11.  Il existe une vaste analyse de la polarisation, y compris de la polarisation affective en Europe et au-delà. Voir, notamment, M. Lindell, A. Bächtiger, K. Grönlund, K. Herne, M. Setälä et D. Wyss ‘What drives the polarisation and moderation of opinions? Evidence from a Finnish citizen deliberation experiment on immigration’, (2017) European Journal of Political Research, 56(1), 23-45.
  12.  Pour une analyse approfondie de l’opinion publique sur l’UE, qui fait valoir que les attitudes ont tendance à se référer à l’évaluation de l’option « faire cavalier seul » de son pays, voir C. DeVries, Euroscepticism and the European Union (Oxford University Press 2018).
  13.  K. Nicolaïdis, Exodus, Reckoning, Sacrifice: Three Meanings of Brexit (Unbound 2019): <https://kalypsonicolaidis.com/unbound/>.
  14.  K. Nicolaïdis, ‘In praise of ambivalence-another Brexit story’ (2020) Journal of European integration, 42(4), 465-488.
  15. Ibid.
  16.  Pour la première affirmation d’une convergence des opinions par la délibération, voir J.S. Fishkin, When the people speak: Deliberative democracy and public consultation (Oxford : Oxford University Press 2009) ; M. Lindell, A. Bächtiger, K. Grönlund, K. Herne, M. Setälä et D. Wyss ‘What drives the polarisation and moderation of opinions ? Evidence from a Finnish citizen deliberation experiment on immigration’ (2017) European Journal of Political Research, 56(1), 23-45.
  17.  J. Habermas, ‘Democracy in Europe: Why the Development of the European Union into a Transnational Democracy is Necessary and How it is Possible’, ARENA Working Paper 13/2014, 3. 
  18.  J. Habermas, The Postnational Constellation (MIT Press 1998). 
  19.  Pour une critique récente du dialogue en tant que pratique renforçant le consensus qui dicte les comportements admissibles et inadmissibles dans une communauté, voir J. Meneses, Resisting Dialogue (Minnesota University Press 2019).
  20.  P. Magnette et K. Nicolaïdis (2004) ‘The European Convention: bargaining in the shadow of rhetoric’, West European Politics, 27(3), 381-404 ; voir A. Maurer (2003) ‘Less Bargaining-More Deliberation The Convention Method for Enhancing EU Democracy’, Internationale Politik und Gesellschaft, (1), 167-191; P.C. Schmitter (2003) ‘Making sense of the EU: Democracy in Europe and Europe’s democratization’, Journal of Democracy, 14(4), 71-85.
  21.  K. Nicolaïdis, ‘Our Democratic Atonement: Why we Need an Agora Europe’, in The People’s Project? New European Treaty and the Prospects for Future Negotiations (Bruxelles, European Policy Centre, décembre 2007). Pour une tentative d’encadrer la Conférence sur l’avenir de l’Europe comme l’expression d’« une forme retardée, mais naissante, d’expiation démocratique », A. Alemanno, ‘Unboxing the Conference on the Future of Europe and its Democratic Raison-d’être’, European Law Journal, à paraître, ainsi que A. Alemanno, « Pourquoi il faut suivre la Conférence sur l’avenir de l’Europe », Le Grand Continent, 10 mai 2021. 
  22.  A. Alemanno, ‘Unboxing the Conference on the Future of Europe and its Democratic Raison-d’être’, op. cit.
  23.  M. Desomer et K. Lenaerts, ‘New Models of Constitution-Making in Europe: The Quest for Legitimacy’ (2002) 39(6) Common Market Law Review, 1217.
  24.  H. Brunkhorst, Critical Theory of Legal Revolutions: Evolutionary Perspectives (Bloomsbury 2014), 42.
  25.  Voir par exemple L. Cooper et al., ‘The Rise of Insurgent Europeanism. Mapping Civil Society Visions of Europe 2018-2020’, LSE Ideas, 2021.
  26.  J. Matsuaka, Let the People Rule: How Direct Democracy Can Meet the Populist Challenge (Princeton University Press 2020).
  27.  Recommandations du panel de citoyens sur la démocratie, l’État de droit et la sécurité, disponibles sur https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/IP_21_6840 (traduction libre).
  28.  Nous utilisons ici et dans le reste de l’article la numérotation initiale qui a servi de base au vote à l’IUE, le 13 décembre 2021.
  29.  Pour une perspective ethnographique des mini-publics délibératifs, voir J. Boswell, ‘Seeing Like a Citizen: How Being a Participant in a Citizens’ Assembly Changed Everything I Thought I Knew about Deliberative Minipublics’ (2021) Journal of Deliberative Democracy 17(2).
  30.  Aristote, Les Politiques, IV, 9, 1294-b, Paris, Flammarion, 1990.
  31.  J. Bernard, ‘Why Machiavelli Matters: A Guide to Citizenship in a Democracy’ (2008) ABC-CLIO; J.P. McCormick, Machiavellian democracy (Cambridge University Press 2012); J.P. McCormick ‘Machiavellian democracy: controlling elites with ferocious populism’ (2001) American Political Science Review, 95(2), 297-313.
  32.  Sur la démocratie et l’imagination, voir C. Castoriadis, L’Institution imaginaire de la société (Seuil 1999) ; Y. Ezrahi, Imagined democracies: Necessary political fictions (Cambridge University Press 2012).
  33.  Pour une première reconstruction et évaluation de la boîte à outils participative de l’UE et de sa valeur démocratique, A. Alemanno, « Europe’s Democracy Challenge : Citizen Participation in and Beyond Elections’, (2020) 21(1) German Law Journal, 35.
  34.  Pour un aperçu historique et une défense de la sortition, voir entre autres, Y. Sintomer ‘From deliberative to radical democracy? Sortition and politics in the twenty-first century’ (2018) Politics & Society, 46(3), 337-357.
  35.  N. Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live (Galliamard 2004); J.P. McCormick, ‘Machiavellian democracy: controlling elites with ferocious populism’ (2021) American Political Science Review, 95(2), 297-313.
  36.  OCDE, Innovative Citizen Participation and New Democratic Institutions, Catching the Deliberative Wave, juin 2021.
  37.  Seuls 14 des 289 exemples répertoriés par le rapport de l’OCDE de 2021 précité concernent des cas de pratiques institutionnalisées.
  38.  Pour une analyse des raisons et des efforts en cours pour transformer les innovations démocratiques temporaires en institutions durables à long terme, voir, OCDE, ‘Innovative Citizen Participation and New Democratic Institutions, Catching the Deliberative Wave’ (OECD Publishing June 2020), et D. Courant, ‘Deliberative Democracy, Legitimacy, and Institutionalisation. The Irish Citizens’ Assemblies’ (ECPR General Conference 2018 and APSA Annual Meeting 2018), où il évoque l’évolution vers l’institutionnalisation des processus délibératifs représentatifs.
  39.  A. Alemanno, ‘The challenges of Institutionalizing Citizens Assemblies in the EU’, Expert report for Bertelsmann Foundation, Programme ‘Democracy and Participation in Europe’, (à paraître).
  40.  C’est du moins ce que le Parlement européen semble attendre de la conférence sur l’avenir de l’Europe lorsqu’il déclare que celle-ci « apportera une contribution importante au développement de la participation des citoyens au processus d’élaboration des politiques de l’UE et ouvrira la voie à l’établissement de nouveaux mécanismes permanents de participation des citoyens ». Voir la résolution du Parlement européen s.63 : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0345_EN.pdf
  41.  Pour un ensemble récent de propositions d’une assemblée des citoyens de l’UE, voir le site d’European Alternatives (https://euroalter.com/) ; voir également G. Smith, ‘The European Citizens’ Assembly’, dans A. Alemanno et J. Organ, Citizen Participation in Democratic Europe. What’s Next for the EU? (ECPR Press / Rowman & Littlefield 2021) ; et G. de Burca, ‘An EU citizens’ assembly on refugee law and policy’ (2020) 21 (1) German Law Journal 23. Pour un appel moins détaillé à la participation permanente des citoyens au processus de l’UE, voir par exemple A. Kavrakova, ‘Participation of European citizens in the EU legislative procedure’ (2021) ERA Forum 22, 295-310 et L. Cooper et al, ‘The Rise of Insurgent Europeanism. Mapping Civil Society Visions of Europe 2018-2020′, LSE Ideas 2021.
  42. Pour quelques réflexions préliminaires, M.E. Warren, ‘Institutionalizing deliberative democracy’ in S.W. Rosenberg, Deliberation, participation and democracy: can the people govern? (Palgrave Macmillan 2007). Voir également S. Niemeyer et J. Jennstal, ‘Scaling up Deliberative Effects – Applying lessons of Mini-Publics’ in A. Bächtiger, J. S. Dryzek, J. Mansbridge et M. Warren (eds), The Oxford Handbook of Deliberative Democracy (Oxford University Press 2018) ; et U. Liebert et A. Gattig, Democratising the EU from below? : citizenship, civil society and the public sphere (Routledge 2016).
  43.  https://blogs.eui.eu/transnational-democracy/on-european-citizens-initiatives-and-trains/ ; C. Berg et P. Głogowski (2016). ‘Heavy Stones in the Road: The ECI in Practice’ in M. Conrad, A. Knaut et K. Böttger (eds), Bridging the Gap? Opportunities and Constraints of the European Citizens’ Initiative (Nomos 2016), 219-222.
  44.  Il a été démontré que, même avec la création d’une assemblée de citoyens, les institutions décisionnelles des États continuent de fonctionner exactement comme avant, y compris le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif, les tribunaux, la fonction publique, la police et l’armée.
  45.  Voir par exemple M. Warren, ‘Participatory Deliberative Democracy in Complex Mass Societies’ (2020) Journal of Deliberative Democracy 16(2), 81–88.  
  46.  Voir par exemple L. Cooper, R. Dunin-Wąsowicz, M. Kaldor, N. Milanese et I. Rangelov, ‘The Rise of the Insurgent Europeanism, Mapping Civil Society Visions of Europe 2018-2020’, LSE Ideas, 2021, 36. Aux termes de l’article 9, paragraphe 1, du TUE, « Dans toutes ses activités, l’Union respecte le principe de l’égalité de ses citoyens, qui bénéficient d’une égale attention de ses institutions, organes et organismes ».  
  47.   G. de Burca, ‘An EU citizens’ assembly on refugee law and policy’ (2020) 21 (1) German Law Journal 23.
  48.  Pour quelques perspectives critiques, voir par exemple M. Hammond, ‘Democratic innovations after the postdemocratic turn: between activation and empowerment’ (2021) Crit. Pol. Stud. 15(2), 174-191 ; C. Lafont, ‘Deliberation, participation, and democratic legitimacy : should deliberative minipublics shape public policy?’. (2015) J. Polit. Philos. 23 (1), 40-63.
  49.  R. Lewanski, ‘The Challenges of Institutionalizing Deliberative Democracy: The ‘Tuscany Laboratory’’ (20 août 2011) : <https://ssrn.com/abstract=2011693>, p. 8.
  50.  Pour une discussion fondatrice, voir T. Risse (ed.), European public spheres (Cambridge University Press 2015).
  51.  K. Nicolaïdis, (2013). ‘European Demoicracy and Its Crisis.’ JCMS:Journal of Common Market Studies, 51(2), 351-369.
  52.  Selon l’article 9, paragraphe 1, du TUE, « Dans toutes ses activités, l’Union respecte le principe de l’égalité de ses citoyens, qui bénéficient d’une égale attention de ses institutions, organes et organismes ».
  53.  Pour une première tentative de théorisation de la valeur normative du principe d’égalité politique en droit européen, voir A. Alemanno, ‘Leveling the EU Participatory Playing Field : A Legal and Policy Analysis of the Commission’s Public Consultations in Light of the Principle of Political Equality’ (2020) 26 (1-2) European Law Journal, 114.
  54.  R. Dworkin, Sovereign Virtue (Harvard University Press 2000), 191.
  55.  S. Fredman, ‘Substantive equality revisited’ (2016) International Journal of Constitutional Law, 14(3),712-738. 
  56.  R.A. Dahl, Democracy and its Critics (Yale University Press 2008), 10. 
  57.  N. Gardels et N. Berggruen, Renovating democracy: Governing in the age of globalization and digital capitalism (Vol. 1) (Univerisity of California Press 2019).
  58.  Ch. Beitz, supra note 10 ; P. Pansardi, ‘Democracy, Domination and the Distribution of Power’, Revue Internationale de Philosophie, mars 2016.
  59.  R. Post, ‘Democracy and Equality’ (2006) Annals of the American Academy of Political and Social Sciences 603, 24-36.
  60.  J. Keane, The future of representative democracy (Cambridge University Press 2011); P. Rosanvallon et A. Goldhammer, Counter-democracy: Politics in an age of distrust (Cambridge University Press 2008).
  61.  K. Nicolaïdis, ‘The Democratic Panopticon’ (6 juillet 2021) Noema.
  62.  A. Alemanno, Lobbying for Change : Find Your Voice to Create a Better Society (Iconbooks 2017), 273-274 (‘At a time of growing disenchantment with the democratic system, we have no choice but to transform mounting distrust into active democratic virtue’).
  63.  Recommandation 23.
  64.  V.A. Schmidt, Europe’s crisis of legitimacy: Governing by rules and ruling by numbers in the eurozone (Oxford University Press 2020). 
  65.  A. Alemanno, La démocratie participative dans l’Union européenne : état et perspectives ouvertes par la Conférence sur l’Avenir de l’Europe, Cahiers de droit européen, à paraître.
  66.  K. Nicolaïdis, Exodus, Reckoning, Sacrifice: Three Meanings of Brexit (Unbound 2019).
  67.  E. Suhay, B. Grofman, et A.H. Trechsel, ‘How and Why the Populist Radical Right Persuades Citizens’ in E. Suhay, B. Grofman et A. H. Trechsel (eds), The Oxford Handbook of Electoral Persuasion (Oxford University Press 2019).
  68.  Au niveau mondial, la part des individus qui se disent « insatisfaits » de la démocratie a bondi de 47,9 % au milieu des années 1990 à 57,5 %, voir R.S. Foa, A. Klassen, M. Slade, A. Rand et R. Collins, ‘The Global Satisfaction with Democracy Report 2020’ (2020 Cambridge, Royaume-Uni : Centre for the Future of Democracy).
  69.  K. Nicolaïdis et R. Youngs, ‘Reversing the Democratic Gaze’ (Carnegie Foundation Democracy HubNovember 2021).
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Alberto Alemanno, Kalypso Nicolaïdis, L’Europe Puissance Citoyenne, Groupe d'études géopolitiques, Déc 2021,

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